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Pour l’histoire: Témoignages des prisonniers tunisiens de 1991 et suivants


TEMOIGNAGES des prisonniers tunisiens

Témoignage du détenu :Sami Nouri :

Au cours de l’année 1992, le gardien Lassaâd Habib, qui est en même temps gardien de l’équipe de foot des prisons, a agressé un détenu islamiste à la prison du 9 avril à Tunis, à l’aide d’une matraque et avec une telle violence que la victime en a perdu conscience. Il se révéla par la suite que la victime a été atteinte à la colonne vertébrale ce qui la rendit paraplégique.

Témoignage du détenu :Adel Essoufi :

Le 7 décembre 1992, j’ai été transféré avec un groupe de détenus islamistes à la prison de Borj Erroumi. A notre arrivée, le lieutenant Moez Berrachid commença à nous interroger un à un en nous posant cette même question :quelle est ton affaire ? Et chacun de nous de répondre «  affaire politique ». « Dis plutôt un voleur de poules » rétorque le lieutenant. Chaque fois qu’un détenu s’entête à refuser la version officielle des motifs de son incarcération, il reçoit une gifle de la part du lieutenant avant que les gardes ne le prennent en charge pour lui faire subir une panoplie de mauvais traitements. Leur première victime, ce jour là, fut Jamel Ayari.

Témoignage du détenu :Mohieddine Ferjani :

Le 26 septembre  1993, j’ai été transféré à la prison de Sfax. J’étais seul. A peine arrivé, le sous-directeur, un dénommé Ameur Hassine, se mit à me battre et à me piétiner. A la fouille réglementaire, il confisqua mon exemplaire du Coran, mes lettres, les photos de mes enfants et mon tapis de prière.

Témoignage du détenu : M’nawar Nasri :

L’administration de la prison de Messadine avait un rituel très sophistiqué dans l’accueil des détenus islamistes. C’est conformément à ce rituel que mes compagnons et moi-même fûmes accueillis: le sol du couloir a été inondé d’un mélange d’eau et de produits détergents. Les agents armés de matraques se sont dressés des deux côtés du couloir. Nous avons été mis à nu et contraints de galoper le long du couloir, subissant coups de bâtons , gifles et coups de pied et recevant toutes sortes d’injures et d’humiliations. Cela dura tant que Nabil Alidane était directeur.

Témoignage du détenu :Abdallah Messaoudi :

J’ai été transféré le 5 décembre 1995 à la prison de Messadine où je fus accueilli par son directeur, Sélim Ghania en compagnie d’un certain nombre de  ses agents. L’accueil consista en coups de bâtons et de pied et une série d’injures et d’humiliations. Mes habits furent éparpillés et certains mis en lambeaux. Je fus placé dans une geôle exiguë où la vie était pratiquement impossible. Par la suite je fus l’objet d’un chantage ignoble dont les termes consistaient à améliorer mes conditions de détention contre la signature d’un document attestant ma démission de mon parti politique. A chaque refus, je subissais violences et humiliations. Le harcèlement dura deux mois, à raison d’une visite quotidienne de la part d’un adjudant et d’une fois tous les deux jours de la part du directeur. Par la suite, les visites se sont espacées et prirent fin au bout de quatre mois avec le départ du directeur.

Témoignage du détenu : Smaïl Saïdi :

En 1996, à mon arrivée à la prison de Mahdia, on m’a contraint à me déshabiller entièrement, à me mettre à genoux et à ramper. Je fus giflé, bastonné, injurié, mal traité et humilié.

Témoignage du détenu :Sadok Chourou :

Au cours de l’été 1993, le lieutenant Nabil El Idani nous a surpris en prière collective dans la chambrée 2 de l’aile de l’isolement à la prison de Tunis. La sanction était dure et nous avons subi la Falaka.

Témoignage du détenu :Lotfi M’Hiri :

Le directeur de la prison de Sfax, Adel Abdel Hamid ne s’est pas contenté de nous interdire la détention du Coran mais aussi d’écrire ses versets sur les bouts de papier des paquets de cigarettes. C’est en effet de cette manière que les détenus islamistes étaient obligés d’apprendre la Coran. Chaque fois que l’un d’eux est découvert en flagrant délit, c’est à dire détenant des bouts de papier avec des versets de Coran, il est aussitôt battu et placé au cachot.

Témoignage du détenu : Fouad Gharbi :

L’administration carcérale a tout fait pour combattre les manifestations de piété et de pratique religieuse, telles que la prière collective et celle du vendredi, le Zhikr ou invocations divines, l’appel à la prière. Elle a tout fait aussi pour encourager la licence morale et les dépravations. Le directeur de la prison de Messadine par exemple, avait interdit le port du Bermuda dans les chambres et la douche.

Témoignage du détenu : Lotfi Senoussi :

Au cours de l’été 1991, l’agent Belgacem, alias M’Loukhia, nous distribuait les couffins de provisions à dix huit heures, prétendant que c’étaient nos familles qui étaient responsables du retard. Ces dernières les ramenaient pourtant le matin. Evidemment à 18 heures et surtout en été, les denrées alimentaires et les fruits, tel que le pastèque sont rapidement avariés.

D’autre part, la moitié des provisions est souvent détournée par les agents tels que Karim Ben Hajjala, Abid, Saïd) sous la houlette du chef du pavillon, le dénommé Abdel Majid Tissaoui.

Le cercle des bénéficiaires de cette manne s’est parfois élargi à leurs amis et même à leurs familles. Ils en étaient venus à stocker les denrées ainsi détournées dans la chambre froide de la prison, en même temps que les détenus, leurs propriétaires légitimes.

Certains d’entre eux fournissent leurs familles en produits tels que le miel, l’huile d’olive, les fruits et légumes. Le pillage ne s’arrêta qu’en 1998.

Témoignage du détenu :Chokri Zoghlami :

En 1993, le directeur de la prison de Sousse, Mohamed Hédi Belkadi, avait imposé aux familles des détenus, d’éplucher tous les fruits avant que les agents ne les réceptionnent. C’était pour nous obliger à les manger le jour même. Devant la prison, c’était le spectacle des familles, épluchant, dénoyautant et découpant les fruits avant de les confier aux gardiens.

Témoignage du détenu :Kamel Besbès :

Au cours de l’année 1994, des détenus islamistes ont été sanctionnés par leur mise en isolement. Pour éviter de se faire déshabiller, ils avaient solidement noué leurs culottes autour d’eux, ce qui n’a pas empêché les gardiens de les leur déchirer sur le corps. Il y avait dans ce cas, notamment Fethi Jabrane, Mehrez hannachi, Lotfi Slama, Salem Dilou et d’autres.

Les conditions de détention 

«  Le chef du pavillon, le dénommé Abdel Majid Tissaoui, en était arrivé à boucher le minuscule trou en bas de la porte de la chambrée, à l’aide d’un bout de chiffon imbibé d’excréments ».

Tout simplement inhumaines : objectivement, on ne peut qualifier autrement, les conditions de détention dans les prisons tunisiennes : Une grande surpopulation et toute la promiscuité qui s’en suit ; une absence totale du strict minimum d’hygiène ; des conditions sanitaires lamentables ; une absence d’aération et un faible éclairage, avec tout ce que cette situation entraîne comme conséquences sur la santé et l’équilibre des détenus.

La surpopulation entraîne un vacarme permanent qui détruit les nerfs et maintient les détenus dans un climat de tension permanente. La promiscuité est responsable, en grande partie, des déviances sexuelles pratiquées parfois publiquement et que l’administration pénitentiaire ne sanctionne que symboliquement et sous la pression des détenus islamistes.

L’insalubrité, quant à elle est responsable des nombreuses affections, notamment cutanées telles que la gale.

Les chambrées manquent toutes d’aération et de lumière . Quand par hasard quelques unes en disposaient, il se trouve toujours quelqu’un pour imaginer à les réduire. C’est ainsi que le directeur de la prison de Borj Erroumi, le dénommé Bel Hassen Kilani a entrepris en 1993, de réduire les dimensions des fenêtres. Nombre d’occupants de ces chambrées ont connu les années suivantes, une baisse de la vue. Hassen Naïli a vu son acuité visuelle baisser de –2

à –7, Sami Dilou de –1,5 à 4,5. D’autres ont hérité de maladies respiratoires et de sensibilité ( Brahim Zoghlami, Dhafer Zribi, Toumi Mansouri…).

Le règlement des prisons stipule textuellement, dans son article 10, que la direction pénitentiaire se doit d’assurer un lit avec couvertures pour chaque détenu. La réalité est bien différente. Ce que la loi envisage est tout simplement un privilège accordé à ceux qui sont chargés par l’administration des missions d’espionnage des islamistes ou encore de leur rendre la vie impossible.

Il est rare qu’il y ait plus de deux toilettes dans une chambrée, quelque soit le nombre de détenus qui l’occupent. C’est le cas par exemple de la chambrée G1 à la prison civile de Tunis qui accueille plus de trois cents détenus, ou bien la chambrée 2 de la prison de Sousse qui en accueille trois cents vingt. Les murs des toilettes sont le plus souvent très bas et sans porte. A la prison de Sousse, c’est un rideau sale et infecte qui fait office de porte. La toilette consiste souvent en un simple trou dont émanent, en permanence, des odeurs nauséabondes. Les rats y pullulent et en sortent dès que les bruits baissent la nuit ou au cours de la sieste.

Certains rats poussent l’audace jusqu’à s’attaquer aux détenus quand ils font leurs besoins. Cela est souvent arrivé à la chambrée 2 de la prison de Sousse. Des rats attaquent aussi les détenus en plein sommeil Cela est arrivé à la chambrée 2, à la prison de Sousse, à Mohamed Sayari à la chambrée A5 à Borj Erroumi en 1994, et même à la cour ( le cas du détenu Thabet M’Rabet à la prison de Jendouba en 1999).

Les détenus sont rassemblés dans les chambrées sans distinction d’âge ou de charges criminelles, sans distinction aucune entre politiques et droits communs, entre inculpés et condamnés. Ainsi on rencontre dans la même chambrée des vieillards et des jeunes, bien que le règlement des prisons stipule clairement dans son article 7 «  que les détenus sont classés selon le sexe, l’âge, la nature du crime, la situation légale, condamné ou inculpé, primo- condamné ou récidiviste ».

La surpopulation et la promiscuité sont des caractéristiques permanentes de toutes les prisons tunisiennes. Les chambrées accueillent deux fois plus de détenus qu’elles ne sont en mesure d’accueillir normalement. Ainsi, avoir un paillasson n’est accessible qu’aux privilégiés ou parfois après une attente interminable qui dure de longues semaines. Tout au long de cette période, le détenu n’a pas de place fixe et couche sur des couvertures à même le sol. Il est parfois très difficile de trouver une place où l’on peut mettre sa couverture. Quant aux couvertures, elles sont pliées après usage, tous les matins, sans même avoir été secouées. Elles gardent ainsi toutes leurs saletés, leur poussière et leurs poux. On peut imaginer l’odeur pestilentielle qui se dégage de telles couvertures après un usage continu et sans lavage.

Quand vient le moment de se coucher, les détenus sont mis en rang. Dès que le gardien de la chambrée intime l’ordre de se coucher, les détenus s’exécutent en se mettant sur les couvertures, formant ce qu’on appelle le tas. L’espace ne suffisant pas à ce qu’ils se mettent sur le dos, c’est donc sur le côté qu’ils le font, sans pouvoir bouger. C’est la position 

« couteau ». Au cas où un détenu se lève au milieu de la nuit pour un besoin naturel, il perd sa place. Certains n’arrivent pas à trouver de place pour dormir que sous les paillassons, emplacement réservé d’habitude pour les couffins et les chaussures. Dans le jargon des prisons cela s’appelle la position camion, c’est à dire celle du mécanicien se couchant sur le dos pour les réparations d’un camion. D’autres détenus ne trouvent de place que sur les étagères réservées, d’habitude aux vêtements et autres effets personnels.

Témoignage du détenu Samir Dilou :

Les conditions de détention à la prison de Sousse sont terriblement difficiles. La chambrée 2 a en principe une capacité d’accueil de soixante dix détenus, mais dans les faits ce sont plus de trois cents détenus qui s’y agglutinent. Elle dispose d’un seul coin toilette sans lumière. Etant donné le peu de lumière dans la chambrée, c’est donc l’obscurité totale qui règne dans les toilettes. Quand on rentre dans la chambrée, il faut écarquiller les yeux pendant un moment pour s’y retrouver. Au début, on observe de simples silhouettes d’hommes et d’objets.

L’aération n’est pas meilleure que la luminosité. Il y a tout juste trois petites fenêtres ou plutôt des trous d’aération. La chaleur y est étouffante et la moiteur comparable à celle que l’on rencontre dans un Hammam. Les détenus ne s’y trompent pas et l’ont surnommée la pièce chaude du Hammam. Il arrive souvent que les détenus perdent conscience.

Lors d’une des rares fois où nous avons sorti les paillassons pour nettoyer la chambrée, tout le monde s’est rendu compte que cette dernière ne pouvait accueillir tous les détenus en position debout.

Au cours de l’été 1991, le nombre de détenus occupant cette chambrée, sans ventilateur ni extracteur, est passé à trois cents vingt,. Un certain jour, trois détenus islamistes ont perdu conscience en même temps. Aussitôt les clameurs et les cris Allah Akbar fusèrent. Les gardiens n’osèrent pas ouvrir la porte, croyant à une révolte. Ils entrèrent au bout d’une demi heure, à l’arrivée du directeur. Les trois victimes furent aussitôt transportées à l’hôpital et on a dû sortir les autres détenus dans la courette. Nous y passâmes une heure. Le lendemain l’administration réduisit le nombre d’occupants et installa des ventilateurs dans la chambrée. On nous fit d’autres promesses pour améliorer les conditions de détention qui ne furent jamais tenues.

Témoignage du détenu Samir Dilou :

En 1994, la chambrée 4, aile B à la prison de Borj Erroumi, souffrait d’une grave pénurie d’eau. Le filet d’eau qui coulait du robinet, était utilisé pour remplir les ustensiles des occupants de notre chambrée et de bien d’autres chambrées qui n’ont pas de robinet. Pour obtenir ses cinq litres d’eau, il faut donc attendre longtemps et parfois graisser la patte au gardien.

Au mois de juin, il nous est arrivé de ne pas avoir même d’eau de boisson. En période de pénurie, l’eau, déjà précieuse en temps normal, le devient davantage. Chacun de nous dépensait des trésors d’ingéniosité pour la cacher de peur du vol. Le vol se faisait surtout lors de notre sortie en promenade, parfois avec l’encouragement du caporal, le dénommé Abou Bekr Dridi.

L’article 14 du règlement des prisons stipule que «  le détenu a droit à la promenade quotidienne d’une heure au moins ». C’est la durée minimum. Mais les directeurs des prisons la considèrent comme un maximum. En fait ceux qui peuvent en disposer, sont de véritables privilégiés. Dans la plupart des prisons, les détenus font la promenade pendant vingt minutes, deux fois par jour. Dans certaines prisons, la promenade est réduite à tout juste sept minutes

Témoignage du détenu Lotfi Senoussi :

Au cours de l’été 1991, j’ai été transféré avec un certain nombre de détenus à la chambrée 17, au pavillon d’isolement de la prison de Tunis. Elle était sans aération ni même équipée d’extracteur . Nous étions onze détenus. Davantage encore, le chef du pavillon, le dénommé Abdel Majid Tissaoui, en est arrivé à boucher le minuscule trou situé en bas de la porte de la chambrée, à l’aide d’un bout de chiffon imbibé d’excréments. Le préposé à la surveillance de nuit, Néji Habibi qui en fût témoin, a refusé quant à lui de l’enlever prétextant que cela relevait de la compétence de l’équipe du jour.

Tant que j’étais à la prison de Borj Erroumi, d’octobre 1991 à mai 1992, dirigée à l’époque par Mohamed Zoghlami, mes compagnons et moi étions privés de couvertures et de matelas. Nous dormions à même le paillasson en fer qu’on essayait d’adoucir à l’aide de divers vêtements et d’effets personnels.

Au cours de l’été 1992, nous avons été transférés à la chambrée D3 à la prison civile de Tunis. Normalement la chambrée peut accueillir au plus une trentaine de détenus, mais l’administration nous y plaça à soixante dix, pour moitié de droit commun et pour l’autre des politiques.

Durant les mois de juillet et d’août, personne n’arrivait à dormir. Quand on sortait à la promenade, nous étions tellement fatigués qu’on dormait debout, adossés au mur.

Au mois de septembre 1992, nous avons été transférés à la chambrée B1. Celle-ci avait une capacité d’accueil de soixante personnes, mais il y en avait plus de trois cents, tous nus ou presque, tant il faisait chaud. C’était pourtant l’automne. Presque tout le monde couchait à même le sol dans l’espoir qu’une place se libère sur le paillasson. Chaque paillasson accueillait trois détenus à son niveau supérieur, quatre plus bas et davantage encore au niveau inférieur où l’on met d’habitude, les couffins et les chaussures. C’est ce niveau qui est surnommé « camion » par les détenus de droit commun.

Le premier janvier 1995, j’ai été transféré à la chambrée D4, avec d’autres compagnons islamistes. La chambrée ne pouvait accueillir normalement plus de huit détenus, mais nous étions vingt deux à nous y installer. L’atmosphère était suffocante, ce qui nous a obligé à nous mettre en maillot de corps, malgré le froid hivernal.

Témoignage du détenu Mohamed Kaloui :

Au mois de mai 1991, nous avons été concentrés dans la chambrée 18, au pavillon d’isolement. C’est une chambrée exiguë de 4/ 3,5m, comportant un seul coin toilette et aussi une seule fenêtre. Nous étions seize à nous y retrouver.

En 1995, quand je fus transféré à la prison de Borj Erroumi, j’ai été placé dans la chambrée C3 qui avait une superficie de cinquante m2 ( 10/ 5 m), non équipée d’extracteur, avec deux fenêtres sur le même côté, ce qui ne permettait aucun brassage d’air. Pourtant, nous étions cinquante quatre détenus à l’occuper.

Témoignage du détenu Ahmed Lâamari :

En date du 4 novembre 1991, on m’avait mis à la chambrée h3 de la prison civile de Tunis. La chambrée pouvait accueillir tout au plus trente six détenus, mais nous étions plus de soixante dix. Durant les mois de janvier et février, j’ai dû dormir à même le sol sans le moindre matelas. C’est dans ces conditions que j’ai contracté un rhumatisme articulaire qui me ronge l’épaule gauche depuis plus de neuf ans.

Témoignage du détenu Adel Essoufi :

A la prison de Borj Erroumi, on m’a obligé à coucher à même le sol durant les deux mois de décembre 1992 et janvier 1993, avant d’obtenir enfin un paillasson.

Témoignage de Mounir Labidi :

A la prison du Kef, on m’a mis en 1995, dans une chambrée faite normalement pour cinquante détenus, mais qui accueillait cent cinquante trois détenus. La densité était telle qu’il était impossible de se déplacer normalement sans piétiner les personnes assises ou étendues. Pour aller jusqu’aux toilettes, il fallait marcher sur les bords des lits.

Témoignage de Abderrazak Mezguérichou :

En date du 16 janvier 1996, j’ai été transféré à la prison de Gabès où je fus placé dans la chambrée 10, qui ne disposait ni de fenêtres ni d’aération. J’ai refusé d’y rester et j’ai été sanctionné par un placement en pavillon d’isolement dont les cellules ne disposaient d’aucune commodité. Nous étions trois détenus dans une cellule de 2/ 1,5 m. On ne pouvait s’asseoir ou dormir qu’à tour de rôle.

Le 18 décembre 1998, j’ai été transféré à la prison de Tunis où je fus mis dans la cellule E7. Cette dernière avait une superficie de 7, 5 m2 ( 3/ 2,5), sans aucune aération, hormis une petite fenêtre qui ouvre sur un espace clos. Trois autres détenus partageaient cette cellule avec moi. L’humidité était très grande car le soleil ne pénétrait pas dans la cellule.

Quand nous avions protesté et réclamé des améliorations de nos conditions, le responsable du pavillon, le dénommé Omar Habibi, nous avait répondu que notre transfert dans une prison proche de nos familles avait un prix : c’était le silence et la résignation.

Témoignage du détenu Ridha Alboukadi :

Le 3 août 1996, j’ai été mis à l’isolement dans la chambrée 7 du pavillon d’isolement. La chambrée était dans état de saleté indescriptible, obscure à ne pouvoir distinguer les objets qu’avec peine et au bout d’un long moment. La lampe électrique était dans un coin, à cinq mètres de hauteur et, de plus elle, elle était au milieu d’un grillage qui la cachait entièrement. Ce n’est pas la lampe qu’on voyait, mais les rayons de lumière qui en échappaient. Et encore, c’était très vague.

Il n’y avait rien dans la chambrée, en dehors d’un matelas et de deux couvertures, plus crasseux les uns que les autres et dégageant une odeur nauséabonde. C’était un abri idéal pour  les poux, puces et punaises. L’humidité était écrasante étant donné l’absence d’aération. La seule fenêtre qui ouvrait sur la cour extérieure avait été fermée avec d’immenses soins à l’aide d’une plaque de fer, comportant un certain nombre de trous.

Et comme si la surpopulation, l’absence d’aération et de lumière ne suffisaient pas, nombre de prisons connaissent périodiquement et surtout en été, de graves pénuries d’eau. Evidemment cela pose de nombreux problèmes au plan de l’hygiène. La douche, déjà irrégulière, devient impossible dans de telles conditions. On ne peut, non plus, nettoyer les toilettes qui dégagent en permanence des odeurs pestilentielles et, encore moins, laver nos vêtements.

Témoignage du détenu Lotfi Senoussi :

En 1991, à la prison de Borj Erroumi, j’ai été placé dans la chambrée 11 qui ne disposait que d’une seul coin toilette. Nous étions quatre vingt détenus. La chambrée ne disposait pas d’eau ce qui nous obligeait à la chercher dans la cour intérieure de la prison où il y avait un robinet.

Curieusement, l’eau n’était pas tout à fait gratuite et nous devions la payer de nos poches. Dans certains cas et pour subvenir à nos besoins d’eau, pour les ablutions ou autre chose, nous étions obligés de recueillir l’eau des flaques de pluie qui se forment dans la cour.

Témoignage du détenu Brahim Zoghlami :

En 1993, les chambrées B et C de la prison de Tunis, ne recevaient de l’eau qu’entre 23 heures et 5 heures du matin. Au cours de l’été de cette année, il y a eu une coupure électrique qui entraîna l’arrêt du ventilateur et de l’extracteur. Il n’y avait pas d’eau non plus. La chaleur avait atteint des sommets inégalés et la chambrée s’était transformée en un enfer. De nombreux détenus perdaient souvent conscience. Les gardiens furent obligés de sortir tous les occupants dans la cour et de les arroser d’eau à l’aide des lances d’incendie.

Témoignage du détenu Mounir Labidi :

Au mois de mars 1994, j’ai été transféré à la prison de Borj Erroumi. La quantité d’eau qui y été allouée à chaque détenu au cours de l’été était de cinq litres. C’était pour boire, se laver, laver ses effets et faire les ablutions !

Témoignage du détenu Samir Dilou :

En 1994, la chambrée 4, aile B à la prison de Borj Erroumi, souffrait d’une grave pénurie d’eau. Le filet d’eau qui coulait du robinet, était utilisé pour remplir les ustensiles des occupants de notre chambrée et de bien d’autres chambrées qui n’ont pas de robinet. Pour obtenir ses cinq litres d’eau, il faut donc attendre longtemps et parfois graisser la patte au gardien.

Au mois de juin, il nous est arrivé de ne pas avoir même d’eau de boisson. En période de pénurie, l’eau, déjà précieuse en temps normal, le devient davantage. Chacun de nous dépensait des trésors d’ingéniosité pour la cacher de peur du vol. Le vol se faisait surtout lors de notre sortie en promenade, parfois avec l’encouragement du caporal, le dénommé Abou Bekr Dridi.

L’article 14 du règlement des prisons stipule que «  le détenu a droit à la promenade quotidienne d’une heure au moins ». C’est la durée minimum. Mais les directeurs des prisons la considèrent comme un maximum. En fait ceux qui peuvent en disposer, sont de véritables privilégiés. Dans la plupart des prisons, les détenus font la promenade pendant vingt minutes, deux fois par jour. Dans certaines prisons, la promenade est réduite à tout juste sept minutes.

Témoignage du détenu Brahim Zoghlami :

En 1993, j’étais à la prison de Mahdia où j’occupais la chambrée 16 en compagnie de trente détenus. La surface de la courette de promenade était de trente mètres carrés ( 5 /6 m). Nous nous y tenions debout tout au long de la promenade.

Témoignage de Abdel Krim Bâalouch :

Le directeur de la prison de Houareb,  Nabil Aïdani, avait décrété en 1995, que la promenade consistait simplement en deux tours en rangs serrés. Nous passions le reste du temps assis !

Témoignage de Lotfi M’hiri :

La prison de Sfax connaît une très grande surpopulation qui impose au détenu de demeurer tout le temps sur place, dans la chambre, sans bouger. La promenade est donc la seule occasion pour nous de bouger et de marcher un peu. Mais tel n’était pas l’avis du directeur, Adel Abdel Hamid, qui avait décrété que les détenus devraient se mettre assis dès leur sortie de la chambre.

Pour justifier sa décision, il avait inventé un prétexte fallacieux selon lequel, certains balcons, des immeubles avoisinants, surplombaient la cour de promenade et qu’il y avait des risques que les détenus n’embêtent les dames qui sortent aux balcons.

Témoignage du détenu Mohamed Kaloui :

En 1996, je me trouvais au pavillon d’isolement à la prison de Houareb. La cour de promenade était très étroite, à peine quinze mètres carrés pour huit détenus. Elle ne reçoit le soleil que pendant les mois d’été.

Témoignage du détenu Ridha Boukadi :

En 1996, j’étais à la prison de Tunis au pavillon de l’isolement qui se trouvait au-dessus de l’infirmerie. La promenade ne durait pas plus de sept minutes. La mise en isolement total des détenus, était une des nombreuses mesures arbitraires en pratique. Une fois dans sa cellule, le détenu est totalement coupé de son environnement. Il n’a d’autre lien qu’avec le gardien chargé de le surveiller. Les rapports avec les détenus sont régis par les seules considérations sécuritaires. Même les autres gardiens n’avaient pas le droit d’entretenir des relations avec le détenu.

En 1996, deux détenus ont été placés en isolement sous les numéros un et deux. Personne ne connaissait rien d’autre d’eux que leurs numéros respectifs. C’est  ce que m’a rapporté un détenu qui connût l’isolement durant la même période.

Témoignage du détenu Néjib Ellaouati :

J’ai été mis à l’isolement dans une cellule située au-dessus de l’infirmerie de la prison. Elle était dépourvue de tout. Il n’y avait ni toilette, ni aération, ni eau. La fenêtre était fermée avec des clous et donc condamnée. J’avais un sceau d’eau pour ma toilette et autres besoins et un autre pour les eaux usées. Je devais frapper à la porte et attendre qu’on vienne m’ouvrir pour faire mes besoins naturels. Les heures de promenade n’étaient pas régulières et il arrivait souvent qu’on m’oublie. Parfois je ne quitte pas mon isolement de la journée et il n’est pas rare qu’on oublie de me servir à manger.

Témoignage du détenu  Abdallah Zouari :

En 1995, j’ai été transféré à la prison de R’jim Mâatoug en plein désert. Elle avait pour directeur, à l’époque, le dénommé Mourad Hannachi. J’ai tété mis en isolement durant cinq mois pendant lesquels je n’avais vu personne d’autre que mon geôlier. Ce dernier ne me laissait quitter ma geôle que pendant cinq minutes le matin et autant le soir. C’était tout juste ce qu’il me fallait pour faire mes besoins, laver mes vêtements et ma vaisselle et me fournir en eau.

Pour me conduire à la douche, on me bandait les yeux. L’adjoint au directeur, le dénommé Kilani Hani, prenait soin de me couvrir encore la tête d’une couverture pour m’empêcher de voir quoique ce soit. C’est en aveugle qu’on m’y amenait.

En 1998, à la prison de Houareb, dirigée à l’époque par le dénommé Riadh Amari, je fus mis en isolement dans une cellule se trouvant juste sous le dortoir des gardiens. L’eau usée coulait abondamment du plafond. J’y suis resté pendant trois mois, sans jamais sortir en promenade ne serait-ce qu’un instant. D’autre part, le directeur m’avait privé de nourriture pendant trois jours

La nourriture et les conditions sanitaires :

« La ration alimentaire est juste suffisante pour vous permettre de vous tenir debout pendant l’appel, matin et soir ».

L’article 14 du règlement des prisons stipule que le détenu a droit à :

1) Alimentation.

2) Aux soins.

3) aux médicaments, en prison ou bien à l’hôpital, sur indication du médecin de la prison et s’il s’avère impossible de le soigner à l’infirmerie de la prison.

4) Disposer des moyens d’hygiène.

L’article 27 stipule pour sa part que :

« Le détenu a droit à deux repas par jour d’une valeur nutritive correcte. Le premier repas à midi et le second le soir. Le détenu qui travaille dans les ateliers ou les chantiers de la prison, doit disposer d’un repas supplémentaire le matin de chaque journée de travail. Le détenu malade doit avoir aussi l’alimentation prescrite par le médecin de la prison ».

L’article 31 : « les centres de détention doivent disposer d’ateliers de formation et des conditions nécessaires au maintien de la santé ».

L’article 41 stipule que « Sur ordre du médecin de la prison, le détenu malade doit être transporté à l’hôpital s’il s’avère qu’il était impossible de le soigner sur place ».

Dans la réalité, les choses se passent autrement. Le nombre vertigineux des détenus islamistes atteints de maladies chroniques et présentant des signes évidents de sous- alimentation, témoigne d’une négligence préméditée. L’absence, d’autre part, d’une alimentation correcte et équilibrée des détenus et des conditions d’hygiène de base dans les centres de détention

( absence d’aération et de lumière et très grande humidité des locaux), telles que prévues par le règlement, atteste d’une volonté de nuire.

On a constaté ces dernières années, que certaines améliorations avaient été apportées, suite aux mouvements de protestation et de revendication.

Mais pour l’essentiel, les conditions sont restées les mêmes. Le détenu islamiste subit toujours le voisinage de dizaines de fumeurs, connaît les pires conditions de promiscuité et partage avec tous les autres, l’humidité et l’obscurité. Il est très souvent réduit à dormir à même le sol.

Le détenu islamiste est, autant sinon plus que les autres, victimes des nombreuses maladies et affections en vogue en milieu carcéral : les maladies du système digestif ( intestins, estomac,..), celles de nature cardio-vasculaire, pulmonaires et respiratoires, psycho- somatiques et autres. Personne ne peut échapper aux affections cutanées ( gale, champignons..) tant les conditions d’hygiène sont lamentables. Il y aussi un accroissement vertigineux des affections pulmonaires et notamment de la tuberculose, ainsi que des maladies nerveuses.

L’administration justifie cette situation faite de mauvaise alimentation, de conditions sanitaires et d’hygiène déplorables, par l’absence de moyens budgétaires. La réalité dément ces allégations.

La promiscuité et la surpopulation des prisons peuvent être réduites par la construction de nouveaux pavillons et chambrées et pour lesquels de nombreux centres de détention disposent de l’espace nécessaire. Les travaux d’embellissement et d’amélioration des entrées des prisons ne s’arrêtent presque jamais. Ils ne sont d’aucune utilité, grèvent les budgets et participent à la dégradation des conditions de vie des détenus. C’est ce qui s’est passé justement à la prison de Borj Erroumi en 1993, quand son directeur, le dénommé Belhassen Kilani avait entrepris des travaux coûteux pour réduire les dimensions des fenêtres.

L’alimentation est partout désastreuse et elle n’est pas meilleure dans les centres de détention diposant de vergers et de fermes agricoles. Tous les détenus qui ont survécu à la prison de Borj Erroumi de 1993 à 1995, témoignent que les herbes pour bestiaux y constituent l’alimentation de base durant toute la semaine. Les négligences sanitaires sont elles bien préméditées ce qui témoigne d’un esprit revanchard et hostile, chose que les responsables des centres de détention,  ne s’en cachent pas. Pour s’en convaincre, cette déclaration très significative du lieutenant Fouad Mustafa qui estime «  que celui qui quitte la prison sans handicap, sera sans doute lourdement chargé de maladies qui l’empêcheront d’avoir la moindre activité politique ».

Parmi les mesures draconiennes prises par la direction des services pénitentiaires, notamment sous la direction de Ahmed Hajji, figure la privation des détenus islamistes des soins dans les hôpitaux publics et ce quelque soit la gravité de l’affection. Il en est résulté une aggravation de la situation sanitaire de nombreux malades islamistes et certains en sont morts.

D’autres mesures discriminatoires sont venues s’ajouter à cette panoplie de décisions. Il en est ainsi de l’interdiction des soins dentaires et de l’autorisation des seuls arrachages des dents cariées. Il en est de même du refus de soigner une hernie parce que celle-ci est jugée être à son  stade primaire, du refus de lunettes à celui qui les réclame, tant que son acuité visuelle ne soit pas descendue en dessous de –2,5 ou de dentier à celui qui n’aura pas perdu… toutes ses dents. Pourtant tous ces soins se font sur le compte personnel du patient !

Il est évident que les conditions d’une bonne hygiène dans les prisons ne tiennent pas seulement à des facteurs individuels et ne sont pas uniquement de la responsabilité des détenus. Elles tiennent surtout aux conditions générales définies par une politique officielle en matière carcérale. Que peut le détenu face à des mesures préméditées, faites pour maintenir l’hygiène dans les prisons, dans les pires conditions ?

Ainsi, quand, durant des années, la lame de rasoir est utilisée pour raser une vingtaine de détenus, avec tous les risques que cela comporte pour la transmission des maladies vénériennes. Jamais le refus ou la protestation des détenus contre une telle mesure, n’a été admis. Bien plus, l’administration tient à ce que le rasage de la barbe se fasse trois fois par semaine, dans de telles conditions, alors que la coupe de cheveux ne se fait qu’occasionnellement, parfois au bout de quelques mois. Le prétexte invoqué par l’administration pour justifier cet espacement de la coupe de cheveux, est souvent fumeux du genre pénurie de ciseaux ou leur envoi à l’affûtage.

Les détenus ne peuvent même pas se couper les ongles autrement qu’en utilisant des fils très fins, en les rongeant avec les dents ou en les limant sur le sol.

Le détenu a droit, en principe, à la douche une fois par semaine. En réalité, il lui faut attendre de longues semaines pour pouvoir profiter d’une douche. D’autre part, il est interdit, dans certaines prisons et notamment à Borj Erroumi, de se laver dans les chambrées.

La lessive est aussi une grande épreuve pour le détenu. L’alimentation en eau est souvent irrégulière et les espaces destinés au séchage du linge sont quasi absents. D’autre part, les familles ne peuvent prendre en charge le linge de leurs détenus pour cause d’éloignement et aussi d’espacement des visites. La crainte des vols par les gardiens, en cours de route, y est aussi pour quelque chose. Aussi, les détenus sont parfois contraints de sécher leur linge à l’intérieur de la chambrée ce qui accroît l’humidité ambiante.

Nous citons à ce propos, quelques témoignages de détenus, parmi les innombrables témoignages dont nous disposons.

Kamel Besbès :

En 1994, j’étais au pavillon A de la prison de Borj Erroumi. Un jour du mois de juin, le chef du pavillon, le dénommé Hassen Sahraoui m’a obligé à me raser la barbe, sans savon et avec une lame qui avait servi auparavant à raser une vingtaine de détenus. Cela s’est terminé avec le visage en sang.

Fredj El Jami :

A la prison de Tunis en 1992, il était formellement interdit de se laver le corps dans la chambrée. La douche hebdomadaire, très courte, ne permettait pas non plus de se laver entièrement le corps. Il y avait aussi la procédure : on ouvrait l’eau très brièvement pour mouiller le corps et se savonner. On l’ouvrait encore une fois pour se nettoyer. Le temps était si court qu’il ne suffisait pas à nettoyer toute la mousse.

Hassouna Naïli :

En 1994, je me trouvais à la chambrée 10 de la prison de Borj Erroumi. Les douches étaient très irrégulières et on attendait parfois deux mois pour en avoir une. Les plaintes et les protestations n’étaient d’aucun secours. Curieusement, c’est semble-t-il pour notre bien que le directeur, le dénommé Belhassen Kilani, nous refusait la douche : « Il fait très froid et nous avons peur que vous attrapiez des maladies » répétait-il.

La crasse ne colle pas uniquement aux locaux, aux matelas et aux couvertures ( qui ne sont ni changées ni lavées pendant de nombreuses années), mais aussi aux ustensiles qui nous servent à cuire et à distribuer les aliments et l’eau. Quand le chauffe-eau de la douche tombe en panne, c’est tout simplement le drame.

D’autre part, nombre de détenus préposés à la cuisine et à la distribution des repas, sont atteints d’affections cutanées et sont très peu portés sur la propreté. Dans de nombreuses prisons, le pain est distribué dans les mêmes couvertures crasseuses qui nous servent la nuit pour le couchage.

Samir Dilou :

A la prison de Jendouba, en 1998 et 1999, les ustensiles qui servaient à distribuer les repas étaient utilisées en même temps pour jeter les restes de nourriture. Ils sont vidés le matin pour resservir aussitôt, sans même les laver.

Les négligences sanitaires, remarquées au niveau des soins thérapeutiques, le sont aussi en amont, au niveau des causes. Nombre de maladies trouvent leurs origines dans les conditions d’humidité ambiante, le tabagisme et l’absence d’aération, le brouhaha qui règne, le non isolement des malades, les sanctions sévères qui incluent les violences corporelles (mise à nu, couchage à même le sol en hiver, l’arrosage du détenu d’eau après lui avoir ligoté les mains et les pieds) . Certaines violences ont eu de graves répercussions sur la santé des victimes, ont laissé des traces indélébiles et des handicaps permanents ( voir chapitre des sanctions). C’est ce qu’on appelle communément les maladies carcérales parce qu’elles résultent des conditions de détention en milieu carcéral. Le détenu atteint de ces maladies souffre doublement. Primo des conditions très dures de la détention et que rien ne vient améliorer par égard à son état et, secundo de tout ce qu’il déploie comme efforts pour faire aboutir ses demandes de prise en charge pour des soins.

Le diagnostic de la maladie prend de longs délais, puisque l’infirmier et le personnel médical de la prison ne disposent pas de l’équipement nécessaire pour le faire. Les demandes de transfert à l’hôpital sont systématiquement refusées, bien que l’article 14 du règlement des prisons le prévoit. Puis quand le diagnostic est fait, commence une étape aussi longue et fastidieuse que la précédente pour obtenir les médicaments. Ce sont tout d’abord les tergiversations de l’administration pour procurer au malade les médicaments prescrits, souvent absents de la pharmacie de la prison. Le patient n’est même pas sûr dans ce cas d’obtenir ses médicaments sur son propre compte.. Le personnel para- médical de la prison est souvent incompétent, ayant reçu une formation accélérée sur le tas ( on s’en rend compte au quotidien et à l’usage, surtout quand certains d’eux ne trouvent aucun inconvénient à utiliser la même seringue pour de nombreux malades).

Lotfi Senoussi :

Au mois de septembre 1992, j’ai été transféré à la chambrée B1 de la prison de Tunis. Le mépris et la haine du caporal lui ont interdit de faire nettoyer la chambrée avant de nous y installer. Il n’a fallu que deux mois pour que les deux cents occupants contractent la gale. Je me souviens, par exemple, que l’un des détenus, un dénommé Ben Amor, passait toute la nuit éveillé à se gratter. Tout son corps étant couvert d’œdèmes qui l’empêchent de s’étendre dans une quelconque position. Les réclamations réitérées des détenus pour se faire soigner, donnent lieu aux ricanements et aux mascarades. Tous les jours, le chef du pavillon, Ahmed Arfaoui établit la liste des malades désireux de voir le médecin . Acte jamais suivi d’effet !

Néjib Louati :

Au début de 1998, j’ai eu une hernie au bas du côté gauche. J’ai eu affaire à tous les médecins des prisons où j’ai séjourné, mais je n’ai eu que de fausses promesses. Si bien que mon état empira, d’autant qu’une autre hernie apparût sur le flanc droit, en même temps que la première se développait.

A cette époque là j’étais à la prison de Houareb où passait une caravane médicale. Son médecin me promit de me présenter à un chirurgien. Mais cela ne se fit qu’après moult péripéties, ce qui me poussa à faire une grève de la faim. C’est ainsi que j’ai été présenté à un chirurgien qui fixa la date de l’opération au 17 janvier 1997. Mais c’était sans compter avec l’extrême mauvaise volonté et les ruses de l’administration pénitentiaire. Ainsi à l’approche de chaque rendez-vous avec le chirurgien, j’ai été transféré dans une nouvelle prison. Ce fut tout d’abord la prison de Monastir où j’ai pu obtenir un rendez- vous avec le chirurgien pour le 28 février 1992. A l’approche de cette date, je fus transféré de nouveau à Tunis. C’est là où le chef de l’infirmerie, le lieutenant Noureddine Soumaya me déclara textuellement « on ne peut te transférer à l’hôpital que si le développement de l’hernie atteint un niveau de gravité exigeant une intervention d’urgence ».

Il nous a fallu entreprendre de gros efforts, ma famille et moi-même, pour réussir à me faire opérer le 25 juin 1997. Le lendemain, après juste vingt quatre heures, j’ai été ramené dans ma cellule.

Abderrazak Mezguérichou :

En 1994, j’ai été témoin du décès du détenu Mongi à la prison de Nador. Mongi était cardiaque et avait succombé à une crise suite à l’indifférence et à la négligence du personnel. Personne ne lui était venu au secours. On m’a demandé par la suite de donner un faux témoignage, prétendant que j’avais vu des agents le secourir alors qu’il était encore en vie. Mon refus mme valût des représailles.

Mohamed Kaloui :

Dans un transfert de prison, j’ai été le compagnon de fourgon du détenu Zerrouk ( de Bizerte) et j’avais remarqué  qu’il avait besoin d’aide pour pouvoir monter. Il m’avait expliqué que cette incapacité résultait des violences qu’il avait subies de la part du directeur de la prison de Messadine, le dénommé Nabil Aïdani. Chaque fois qu’il le rencontrait dans un des couloirs de la prison, il lui faisait choisir entre un séjour au cachot dans l’isolement ou bien la corvée de nettoyage de la chambrée pendant dix jours consécutifs. A peine la sanction terminée c’est une nouvelle qui commence. C’est ainsi qu’il contracta la tuberculose, entre autres maladies. En l’absence de soins sérieux et d’une bonne alimentation (on lui alloua juste une ration supplémentaire de pain) son état se dégrada d’une façon rapide.

D’autre part et dès 1992, il sentit une grande douleur et un bourdonnement à l’oreille gauche, mais il n’a vu de médecin qu’en 1996. Entre-temps l’affection s’est développée et devenue chronique, sans aucune chance de pouvoir la soigner, suite à l’atteinte du nerf auditif.

Brahim Zoghlami :

Un certain soir de mai 1995, j’avais senti des difficultés respiratoires. Je suffoquais, j’avais des nausées et je sentais une profonde douleur au côté gauche. J’ai alerté les gardiens de nuit. J’ai attendu de longs moments avant l’arrivée de l’agent infirmier. Je fus conduit à l’infirmerie où l’on me fît une piqûre de Théophylle. A peine une demi heure après mon  retour à la chambre, je fus pris des mêmes douleurs et de nouveau l’agent infirmier m’administra une piqûre de Tédralon. Encore une demi heure plus tard, ce sont de nouveau les mêmes douleurs et de nouveau une piqûre de Brécancyl. L’infirmier me dit alors que c’était la dernière piqûre qu’il pouvait me faire et me conseilla d’attendre jusqu’au matin pour voir le médecin. J’ai passé la nuit debout, près de la fenêtre à essayer de respirer. A un certain moment, je me sentis complètement figé, incapable de bouger au point que je fis ma prière debout par de simples signes.

Le matin, j’ai vu le médecin qui m’a fait lui-même une piqûre intra- veineuse de Solusdicadran, sans grande utilité puisque je n’ai eu aucune amélioration. A peine un quart d’heure plus tard, les suffocations reprirent de plus belle et je perdis connaissance. On me transporta alors à l’hôpital de Bizerte où l’on me mit sous oxygène. J’étais en hypotension ( 8-6). On m’a fait des radiographies et diagnostiqué une grande poche d’eau au thorax( une des conséquences des violences que j’avais subies dans les locaux de la police). Ainsi j’ai été transporté rapidement au bloc opératoire où je fus aussitôt opéré. Le chirurgien m’exprima par la suite son étonnement que le médecin de la prison n’ait pas diagnostiqué ma maladie plus tôt, surtout que les symptômes étaient très clairs. De retour dans ma chambrée, au bout d’une semaine, je n’ai pas réussi à obtenir un paillasson au premier niveau, malgré mes demandes insistantes. Le prétexte étaiyt que le règlement l’interdisait aux détenus islamistes.

Abdallah Zouari :

Parmi les nombreuses négligences que j’avais constaté à la prison de Tunis, je citerai le cas du détenu Habib Fékih. Celui-ci avait une extinction de voix pour laquelle il n’a été soigné que tardivement, c’est à dire au moment où il devenait incapable de prononcer correctement la moindre parole. Il fut transporté à l’hôpital de l’Ariana. Avant son départ, le médecin a prescrit de le placer dans une chambrée où son état ne devrait pas empirer. L’administration de la prison fit exactement le contraire et le plaça dans une chambrée dans laquelle il y avait cent quatre vingt détenus, tous fumeurs. Son état ne tarda pas à empirer et il fut de nouveau hospitalisé. Le médecin ne lui était pas d’un grand secours et lui confia que «  il n’y avait rien à faire et ne pouvait l’opérer dans ces conditions. Il lui conseilla néanmoins de le contacter dès sa sortie de prison ».

Abdel Majid Ghidaoui :

Vers la fin de novembre 1995, une caravane sanitaire rendit visite à la prison de Borj Erroumi. J’eus droit aux services d’un médecin qui me fit transférer à l’hôpital des services de sécurité intérieure, à la Marsa et ce pour me faire opérer d’une hernie au ventre. Deux jours après l’opération, je fus remis en prison, non pas à l’infirmerie comme c’est d’habitude en pareil cas, mais dans une chambrée surpeuplée . Je n’ai pas pu obtenir non plus de paillasson accessible sans peine, au niveau du sol, sous prétexte que cela était interdit aux détenus islamistes. Pour monter et descendre du paillasson qu’on m’alloua, j’avais besoin d’aide. En plus cela me faisait terriblement mal et avait retardé la cicatrisation de ma blessure. Davantage encore, on me transféra au cours de la semaine à la prison de Houareb et le voyage, dans un fourgon plein à craquer, m’était très pénible.

Hichem Jerraya : Opéré à cinq reprises.

Au cours de l’été 1997, j’avais senti des douleurs au coude gauche, qui se sont estompés plus tard pendant quelques temps. Ils reprirent après mon transfert ( le 25 juillet 1997), à la prison de Mornag. Mon état empira par la suite et mon coude gonfla démesurément, sans que les médicaments qu’on m’ait donné ne soient d’un quelconque effet ( pansements et antibiotiques). J’avais alors demandé au médecin de la prison de me faire faire des radios, mais il refusa. J’ai dû entreprendre des actions de protestation, en refusant d’intégrer la chambrée après la promenade par exemple. Cela ne donna rien et le directeur de la prison, Fouad Wali, me révéla qu’il ne pouvait me transférer à l’hôpital au mois de novembre, parce que tout le monde était occupé à célébrer l’événement du 7 novembre. Je fus hospitalisé le 14 novembre.
Le médecin de service à la chirurgie générale s’étonna qu’on m’ait laissé plus de deux mois dans cet état et décida de m’opérer sur le champ. L’opération s’est faite vers minuit. Quatre jours plus tard, je fus ramené en prison. C’et alors que commencèrent les problèmes sérieux. La cicatrice était béante, ouverte sur 10 cm de long et 2 cm de large. L’agent infirmier protestait de sa bonne volonté mais ne disposait ni de pansements ni de produits désinfectants.

Le 7 février, j’ai été transféré à la prison de Tunis où j’ai refusé d’intégrer une chambrée surpeuplée, dans laquelle les détenus étaient à trois sur le même paillasson. Je fus sanctionné et on me mît au cachot où je passai la nuit enchaîné à une fenêtre. J’ai néanmoins résisté et obtenu gain de cause. J’eus un paillasson individuel dans une autre chambrée et j’ai continué mes soins pendant cinq mois. C’est alors que mon bras gauche s’enflamma de nouveau. Après de longues tergiversations, je fus hospitalisé et de nouveau opéré dans le même service, le jour de l’Aïd El Idha 1998. Ce fut un échec. Les mauvais traitements de la prison y étaient pour quelque chose.

Je fus de nouveau hospitalisé le 30 mai ( une cicatrice de 15 cm sur 3 cm) et j’ai réintégré la prison au bout de deux jours. Le traitement post- opératoire dura quatre mois. J’ai eu une inflammation des ganglions lymphatiques qui m’occasionnait des douleurs terribles. Cela me conduit une quatrième fois à l’hôpital et au bloc opératoire où je fus opéré le 23 juin. Peine perdue. Aucun traitement n’aura d’effet. La cicatrisation ne sera effective qu’au bout de cinq mois. Mon état général continua à se détériorer. J’avais perdu entre temps vingt kilo, d’autant que la nourriture restait médiocre et que, malgré mes nombreuses réclamations, je n’avais pas eu le menu recommandé pour les malades.

Au début de 1998, je commençais à sentir des douleurs lancinantes au côté gauche . Le médecin de la prison me donna du Bisolvan pendant un certain temps, qui se révéla sans effet et sans rapport avec mon mal. Il me donna par la suite de l’oxytétracycline, puis du Clamoxyl qui n’eurent pas plus d’effet. C’est alors qu’un de mes compagnos de cellule me conseilla de demander à me faire radiographier. Il trouva en effet que les symptômes de mon mal rappelaient curieusement la tuberculose qu’il avait contarctée.

Au bout de nombreuses réclamations, j’ai réussi à me faire hospitaliser. On me fit des radios et on m’enleva 2,5 litres d’eau du côté gauche. Le diagnostic était sans appel, c’était la tuberculose. Je suis resté douze jours à l’hôpital où je fus bien traité. Les résultats sur mon état général ne se firent pas attendre.

De retour en prison, j’ai beaucoup souffert des conditions générales mais aussi et surtout de la nourriture. Celle-ci demeurait exécrable. Je multipliais les réclamations pour qu’on me donne une nourriture adéquate. Je rééditai mes revendications le jour de l’Aïd et le directeur de la prison, Hichem El Aouni, ne trouva pas mieux que de me mettre au cachot, pour incitation à la révolte.

En plus de la négligence sanitaire, les détenus souffrent de l’insuffisance de la nourriture qui suffit à peine à calmer leur faim. Nous sommes loin de la lettre et de l’esprit du règlement qui recommande une nourriture complète et équilibrée. Les médecins eux-mêmes reconnaissent que de nombreuses maladies sont la conséquence de la mauvaise alimentation. Des directeurs de prison admettent à leur tour, la faible valeur nutritive de l’alimentation mais estiment qu’ils ne peuvent faire mieux avec un budget de 0,45 D ( à peine 0, 35 Euros) par détenu et par jour. Avec un tel budget, la viande et même la variation des repas, ne peuvent avoir de place dans le menu, sauf cas exceptionnel. Le menu de tous les jours est fait de pomme de terre qu’on ne prend même pas la peine d’éplucher, de lentilles et autres légumineuses qu’on verse dans la marmite sans même les nettoyer de leurs scories. Le poulet qu’on nous présente parfois est souvent insuffisamment déplumé . Ces quelques témoignages l’attestent.

Abdallah Zouari :

A la prison de Borj Erroumi, la nourriture était en 1996, d’une rare mauvaise qualité. Aux réclamations des détenus, le directeur Fayçal Erroumani répondait invariablement que « « La ration alimentaire est juste suffisante pour vous permettre de vous tenir debout pendant l’appel, matin et soir ».

A la prison de Jendouba, la nourriture était si mauvaise et sa distribution donnait lieu à tant de problèmes que le sous-directeur en personne, Abbas Askri, était toujours présent et particulièrement le jour où il y a du couscous.

Abderrazak Tounekti :

L’alimentation était de très mauvaise qualité A Borg Erroumi, en 1994. On avait droit aux deux repas du jour et pendant de longues semaines, à des pâtes en petite quantité (un verre d’un quart de litre). Pendant des mois on ne connaît pas la couleur de la viande. Il y eut une exception le jour où l’on nous a distribué, durant deux jours successifs, du poulet rôti, en grande quantité.. Tout le monde s’en était étonné et, en cherchant les raisons de cette soudaine générosité, nous avions découvert que le poulet était avarié et impropre à la consommation. Au lieu de le jeter, l’administration a choisi de nous le faire servir. Entre autres plats, nous avons un qu’on appelle « sauce de légumes ». C’est tout simplement une soupe de fourrage animal..

Brahim Saïdani :

A la prison de Borj Erroumi et sous la direction de Imed Ajmi, on avait des pâtes pour dix repas sur les quatorze de la semaine. Et quelles pâtes : des nouilles ou autres formes, flottant dans de l’eau, avec des traces de tomate.

Au cours du mois de Ramadhan 1998 et contrairement aux traditions dans toutes les prisons, les détenus ont été privés de lait pour le S’hour ( repas du milieu de la soirée). L’adjudant Abdel Magid Tissaoui justifia cette décision en prétendant qu’il n’y avait pas lieu de le faire, puisque tous les détenus ne faisaient pas le carême, à l’exception des détenus à « caractère spécial ».

Au cours de ce mois, nous avons eu de la viande à trois reprises, la dernière étant le jour de l’Aïd.

Archives de l’Institut tunisien des relations internationales TRI

Tunisielibre@yahoo.fr

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