
مادلين ريباريو رئيسة الرابطة الفرنسية لحقوق الانسان من أول الشخصيات الحقوقية الفرنسية التي قابلتها في شهر جوان 1991. وقد طلبت مقابلتها واستقبلتني في مقر الرابطة صحبة الصديق علي السعيدي رحمه الله. وقد حدثتها مطولا عن الأوضاع في تونس واستمعت الي باهتمام كبير وبدا لي أنها تفاجأت بما سمعته مني ولها الحق في ذلك فقد كان هناك تعتيم كبير عن الوضع في تونس. لا ننسى أننا كنا في أجواء حرب الخليج.. وعدتني السيدة ريباريو بالتحرك. وفي اخر اللقاء الذي تم بحضور المناضل المغربي ادريس اليازمي سلمتها نسخة من شهادتي في أربع صفحات عما عرفته خلال ايقافي في وزارة الداخلية في شهر أفريل.
في شهر أكتوبر 1991 حضر الى فرنسا محمد الشرفي وزير التعليم والرئيس السابق للرابطة التونسية لحقوق الانسان رحمه الله بدعوة من معهد العالم العربي حيث ألقي محاضرة. وقد تحركت كثيرا لإبطال هذه الزيارة وقمت بكثير من الأنشطة منها بعث رسائل الى الشخصيات المدعوة من بينها أدغار بيزاني مدير المعهد والوزير السابق…
وعلى اثر المحاضرة في معهد العالم العربي والتي عرفت شغبا وضوضاء كبيرين من قبل النهضويين وأقيم له احتفال في السفارة دعيت اليه رئيسة الرابطة الفرنسية وقد كتبت هذه الرسالة الى السفير تعلن فيها رفضها الاستجابة للدعوة وتفسر ذلك بكل وضوح.
شخصيا حضرت هذه المحاضرة التي كانت تمر مر الكرام لو لم يذكر السيد الشرفي الرئيس بن علي ويبالغ في تمجيده. . وقد أسر لي ألان شونال الامين العام fربأنه لم يكن مئيدا لدعوة الشرفي في ذلك الوقت …….
الرحمة لهذه السيدة الكريمة التي توفيت في شهر فيفري 2005.
أحمد المناعي
Paris le 10 mars 1992

Monsieur Edgar PISANI
Président de l’Institut du Monde Arabe.
Paris.
Monsieur le Président,
Fidèle à sa vocation et à sa tradition, l’IMA organise régulièrement des manifestations culturelles auxquelles participent entre autres des personnalités politiques de premier plan.
Je voudrai profiter de l’occasion qui s’offre à vous, de recevoir le 18 de ce mois, monsieur Mohamed Charfi, ministre Tunisien de l’Education Nationale, pour vous prier d’attirer son attention sur les graves violations des droits de l’homme en Tunisie, confirmées récemment par le dernier rapport d’Amnesty International en date du 4 mars 1992. : « plus de 8000 détenus politiques et au moins onze cas de mort sous la torture », mais davantage encore selon d’autres sources.
La communauté Tunisienne en France est aujourd’hui saisie par une véritable psychose, tant sont persistantes les informations sur les arrestations massives, les ratissages de quartiers et de villages, la torture systématisée, les parodies de justice et autres violations des droits de l’homme et du citoyen, au quotidien.
Concernant le département de l’éducation dont votre hôte a la charge en Tunisie et pour lequel vous exprimiez encore récemment le regret de ne pas en avoir eu la charge en France, nous sommes fondés à croire que de multiples dispositions administratives ont établi un véritable apartheid à l’école, allant jusqu’à l’interdire à des enfants, pour la simple raison que leurs parents seraient des opposants politiques. Ceci, en plus du fait notoirement constaté, que des milliers de lycéens et d’étudiants ont été exclus en raison de leurs idées ou de leur appartenance politique.
Nous comptons sur votre intérêt, jamais démenti, pour le respect des droits de l’homme, pour faire valoir auprès de votre hôte tunisien, le souci de ses nombreux concitoyens émigrés, de voir leur pays sortir du cercle vicieux de la violence dans lequel l’a engagé la politique actuelle d’exclusion.
Veuillez agréer, monsieur le président, l’expression de mes sentiments respectueux.
Paris le 10 mars 1992.
Coordination pour la Défense des Libertés en Tunisie
Ahmed Manaï
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Témoignage
Ahmed Ben Tahar Manaï
Né le 09 février 1942 à Ouardenine.
Nationalité : Tunisienne
Marié, père de 5 enfants.
Profession : Expert international.
Ce témoignage a été rédigé dans les premiers jours de mon exil en France, soit vers le début du mois juin 1991.
Il a été aussitôt rendu public, diffusé à très grande échelle et envoyé aux rédactions des journaux français, Suisses et Belges, aux organisations de défense des D.H. et à de nombreuses personnalités tunisiennes et étrangères.
Sa diffusion, accompagnée de nombreuses actions de dénonciation publique de la situation en Tunisie, toutes parvenues à la connaissance des autorités tunisiennes, incita ces dernières à se venger sur ma famille et tout particulièrement, sur ma fille Amira (14 ans) et mon fils Bilel (19 ans).
La première a été arrêtée le 23 septembre et le second arrêté le 25.
Inculpés tous les deux d’appartenance à « association interdite », ils ont été acquittés par le tribunal de première instance de Monastir, mais aussitôt l’avocat général faisait appel.
Amira a été de nouveau acquittée en appel, mais Bilel continue de vivre son calvaire, le jugement étant retardé de quinze jours, à chaque audience, .
Entre les mois de mars et avril 1992, ma famille a vécu un siège continu et permanent pendant 43 jours de la part de la police politique. Tous les membres de la famille demeurent, bien entendu, interdits de quitter le territoire national.
J’atteste sur l’honneur, l’authenticité des faits relatés ci- dessous.
Le 6 avril 1991, je suis rentré chez moi en vacance, après une absence de cinq mois à l’étranger, au service des Nations unies au Burundi. Un imposant dispositif policier (police politique en civil) installé aux environs de ma maison, m’attendait. Ainsi, je fus avec l’ensemble des membres de ma famille, l’objet d’une surveillance et d’une filature permanentes et ce jusqu’à la date de mon arrestation.
Le 23 avril 1991, à 10H 15, je fus arrêté à Ouardenine alors que je faisais mes courses au marché et, aussitôt transporté sous bonne garde chez moi. Les agents qui m’ont arrêté ne m’ont présenté aucun mandat d’une quelconque autorité judiciaire. J’ai trouvé chez moi 6 agents de la police politique, tous en civil, en train de fouiller ma bibliothèque. Ils avaient pénétré chez moi, sans aucun mandat de perquisition d’aucune sorte et leur chef avait même menacé ma femme quand celle-ci lui avait réclamé un mandat de perquisition du procureur de la république.
La fouille terminée, j’ai été conduit aux locaux de la police politique à Sousse pour un bref interrogatoire. Au bout d’une heure, je fus conduit en voiture par trois agents en civil, vers une destination inconnue…de ma famille.
Nous sommes arrivés à Tunis à 15H 15, dans une annexe du Ministère de l’intérieur située rue Houcine Bouzaiane. Un contre ordre arriva et on me fit transporter dans une autre annexe, rue Oum Kelthoume. Il était près de 17 H. Le patron des lieux me reçut courtoisement ( j’ai su par la suite qu’il était directeur des renseignements généraux) et entama avec moi une discussion sur ma conception de la démocratie. Je me croyais un instant au Boulevard Saint Michel à Paris, en mai 1968. Au bout d’un quart d’heure, j’ai dû me rendre à l’évidence et réaliser que j’étais dans les locaux de la police politique tunisienne et au mois d’avril 1991.
Edifiée sur ma pensée, le patron ordonna à ses agents de m’emmener et de préparer le matériel. Arrivé dans la pièce voisine, qui allait devenir mon espace vital pendant quatorze jours, on me donna l’ordre de me déshabiller.
A mon hésitation, je reçus une série de gifles et de coups de poing. Je finis par être convaincu et je me déshabillais. On ouvrit aussitôt une fenêtre donnant sur une courette. Un courant d’air froid me traversa le corps. Il faisait froid, ces jours là à Tunis. J’étais pris par la tremblote. Un agent me jeta sur le corps de l’eau et je fus complètement transit.
Au bout d’un instant, le patron entra dans la pièce. Il s’était débarrassé de sa veste et paraissait en pleine forme. Le matériel était déjà là. On me fit la publicité des performances de chaque outil. Concluant vite que je n’étais pas coopératif, on me fit asseoir sur une baguette tranchante en aluminium disposée entre deux tables, les pieds reposant sur un bout de fer de diamètre 12. L’interrogatoire continuait et, à chaque fois que je calais ou que je m’arrêtais de parler, les coups de poing, les gifles et les crachats pleuvaient de toutes parts.
Au bout d’une heure ou plus, le patron estima que je n’étais pas du tout coopératif et que je méritais d’autres moyens. On me ligota aussitôt les mains et les pieds ( les mains étant derrière les pieds) et on m’accrocha à une barre de fer, disposée entre deux tables. C’était la position du poulet rôti. On commença aussitôt à me frapper sur les plantes des pieds. Plus je criais, plus on frappait fort.
Je ne sais combien de temps cela avait duré. J’avais perdu entre temps connaissance. On me délia les pieds et les mains, mais j’étais incapable de me tenir debout. Mes pieds avaient gonflé et les orteils avaient viré au bleu. Je pus tout juste me mettre à genoux. On m’imbiba les pieds d’eau froide et on me fit marcher dans le couloir, en m’appuyant , de part et d’autre sur des agents. D’autres agents formaient une haie de chaque côté du couloir. Chaque fois que j’arrivais au niveau de l’un d’eux, je recevais un coup de poing, une gifle ou un croche-pieds.
Mes pieds finirent par se dégonfler et on me remît aussitôt à l’interrogatoire. Tout tournait autour de mes relations avec MM. Mzali et Baccouche ( deux anciens premiers ministres) et de notre tentative de créer un front d’opposition démocratique.
Excédé par mes réponses, le patron me fit subir une deuxième séance, analogue à la première. Il cassa au cours des deux séances, trois manches à balai. A l’issue de la deuxième séance et de l’exercice de gymnastique qui la suivit et concluant que je n’avais rien compris, le patron des RG, furieux et fou de rage, m’éperonna avec l’un des bouts pointus du manche à balai. J’eux encore le réflexe d’esquiver le coup, qui est allé faire un impact de quelques mm dans le mur.
A ce moment, il me lança qu’il a ordre de la plus haute autorité du pays pour me détruire, moi et toute ma famille. A moi, il promît une affaire de drogue et la perpétuité s’il m’arrivait de sortir indemne de l’affaire présente. Il promit un accident de voiture à ma femme et, à ma fille Amira, âgée de 14 ans, il promît de la faire violer devant mes yeux. Quant aux garçons, tous deux étudiants et dont le plus jeune, Bilel, a été condamné en 1987, à l’âge de 14 ans, à 26 mois de prison pour appartenance au MTI, le patron des RG. Promit un procès qui leur coûtera cinq ans de prison chacun. Il me promit qu’en tout cas, il ramènera toute la famille le lendemain.
Je compris à cet instant que j’avais affaire à Ben Ali en personne et je me résignais à coopérer. Aussitôt que je le lui ai promis, on m’emmena dans une autre pièce et l’on m’installa pour dormir. Je demandai aussitôt l’heure à l’un des deux gardiens : il était deux heures du matin.
Cette nuit, je n’ai pas pu dormir. J’avais froid, je grelottais, mes pieds me faisaient terriblement mal. Je n’avais pas mangé depuis le matin, mais je n’avais pas faim. Je n’avais pas sommeil non plus. La pièce était éclairée par un tube de néon et mes deux gardiens discutaient bruyamment.
Le lendemain vers 9 H du matin ( la reprise normale du travail est à 8H30) l’interrogatoire reprit, par une réédition des menaces de la veille. Je promis de dire tout. C’était toujours le patron des R.G. qui supervisait l’interrogatoire. A chaque fois que je calais, on menaça de ramener le matériel. Vers la fin de la matinée, on le ramena pour de bon. Je subis une autre heure de vérité. Il y avait dans la panoplie cette fois-ci, du matériel électrique. Mais on n’ira pas jusqu’à l’utiliser, ayant craqué entre-temps. Ainsi j’ai reconnu que j’avais des relations avec MM. Baccouche, Mzali, Mokni et d’autres pour former un front démocratique de l’opposition. Aussitôt je commençais à écrire sur leur dictée. L’après-midi se passa bien et on me demanda même ce que je voulais manger. Un peu après 20 H, on m’intima l’ordre de m’habiller et on me fit transporter au bâtiment central du ministère de l’intérieur. Je fus reçu par le Directeur Général des Services Spéciaux. J’eus droit à une leçon de civisme et de haute politique. Il me fit choisir entre deux issues : collaborer et reprendre tous mes droits ou résister et auquel cas, il ne répondra plus de ma vie. Je promis de collaborer.
Aussitôt revenu dans ma chambre, j’entendis la voix d’un jeune homme qu’on interrogeait dans une pièce voisine. C’était la voix de mon fils Badis. Puis des coups et des cris. Cela dura plus d’une heure. Je me couvris la tête pour ne pas entendre, mais les cris me perçaient le cœur. Cette nuit là je n’ai pas dormi non plus. Plus tard, à ma libération le 15ème jour, j’ai su que ce n’était pas mon fils. C’était quelqu’un d’autre ou tout simplement une simulation. Mais tout le long de ma détention, j’étais convaincu qu’on s’était aussi occupé de ma famille.
Au quatrième jour, j’ai été pris en charge par l’équipe qui a en charge les islamistes. Il s’agissait de savoir quelle était ma position dans l’organigramme du mouvement Nahdha. Or quoique connaissant nombre de ses dirigeants, je n’avais aucun lien organique avec lui. J’avais juste conclu une alliance avec ce mouvement lors des élections législatives de 1989 et nous avions présenté en commun une liste dans la circonscription de Monastir. Nous avions obtenu près de 22.000 et un peu plus de 23 % des voix.
Mes déclarations ne leur suffisant pas, on m’a remis encore une fois pour une autre heure de vérité. Cette séance était un peu plus musclée que les précédentes. Le responsable, dont j’appris par la suite qu’il s’appelait Mohamed Naceur, me déclara qu’il venait tout droit de chez le ministre de l’intérieur et qu’il avait pour mission de me faire avouer tout, au prix de ma vie s’il le fallait, ajoutant que si je succombais, ce ne serait qu’un banal accident de travail , une bavure !
J’avais tout le week- end pour soigner mes pieds et méditer sur la démocratie et le haut degré de respect des lois tunisiennes, de la constitution et des conventions internationales auxquelles la Tunisie a adhérées.
L’interrogatoire reprit avec le début de la semaine. Cela se passait plutôt bien et mes tortionnaires étaient contents de moi. Mais ils ne le furent plus quand j’ai parlé des détails d’une réunion à Paris avec certains opposants tunisiens. La dite réunion s’était passée au mois de septembre 1990 et je l’avais complètement oubliée.
Au cours de cette réunion, le directeur de la revus Le Maghreb, avait analysé la situation en Tunisien et conclu qu’il fallait éliminer Ben Ali, le premier responsable de cette situation. Je m’en tenais à cette version, mais la police avait la sienne. Je cédais donc à la menace d’être de nouveau torturé et acceptais leur version qui lui faisait dire, qu’il fallait l’abattre. Le lendemain je le confirmai lors de ma confrontation avec Omar Shabou. C’était la deuxième fois de ma vie que je le rencontrais et il était vraiment en piteux état….Mais il l’a été sûrement davantage après, parce que toute la journée j’entendais ses cris qui me parvenaient de sa cellule de l’autre côté du couloir.
Le lendemain, on me mit en présence de maître A. Bouker, député au parlement tunisien, membre du comité central du RCD au pouvoir et beau- frère de l’ancien premier ministre H. Baccouche. Il était acquis au projet d’un front démocratique tout comme son illustre beau- frère. Il avait des problèmes avec son parti parce qu’il avait défendu, en tant qu’avocat certains islamistes devant les tribunaux. Depuis on l’attendait au tournant.
Cette confrontation, en présence du directeur général des services spéciaux, me confirma dans l’idée qu’aucune institution, en dehors de la présidence de la république, ne comptait avec la police. Aucun homme quelque soit son statut, la charge ou la responsabilité ne pouvait résister à sa terreur. Je profitais néanmoins de la présence de l’avocat- député, pour réclamer les services d’un médecin. J’étais vraiment vidé. J’avais le dos courbé, les pieds en marmelade, une diarrhée depuis cinq jours et des crises de toux qui m’étouffaient. On me fit venir aussitôt le médecin et, heureusement que j’avais de l’argent sur moi lors de mon arrestation, on m’acheta aussi les médicaments.
Les jours suivants se passèrent plutôt bien. Les séances d’interrogatoire étaient régulières et touchaient des points de détail. Ma coopération était totale et je réapprenais l’art de la dictée. L’officier demandait parfois mon avis sur le style, la tournure d’une phrase ou une règle grammaticale.
Le samedi après- midi, 4 mai, Mohamed Hizi, le responsable de la section Nahdha au ministère de l’intérieur, revint me voir. C’était mon onzième jour de détention. La loi en prévoit 10 au maximum et sur ordre du procureur de la république. Je crus un moment que c’était pour ma libération ou ma mise en accusation et mon transfert en prison. Au point où j’étais, je n’allais pas dramatiser pour une misérable journée de détention en plus !
Il ordonna aussitôt aux gardiens de ramener le matériel et m’ordonna de me déshabiller. J’étais encore à moitié endormi et une gifle finit par me réveiller complètement. Mais incapable de bouger, j’eus droit à une série de coups qui me rendirent mon automatisme des premiers jours.
Le matériel réuni, on me ligota les pieds et les mains et de nouveau la position du poulet rôti. Je subis une nouvelle séance de torture, pire que toutes les autres, avec pour innovation l’alternance des coups, sur la plante des pieds puis sur les orteils. Combien cela a duré ? Je ne l’ai jamais su. Diabétique et ayant pris soin d’en prévenir mes tortionnaires dès le premier jour, Nacer s’est amusé à dissoudre une poignée de sucre dans un verre d’eau et de m’en abreuver chaque fois que ma gorge séchait. Pour la première fois de ma vie, j’ai su ce qu’est d’avoir vraiment la gorge sèche. Il m’annonça au bout d’un certain temps que l’accident de travail était proche. Mais je perdais déjà connaissance. Quand je repris mes esprits, je me suis retrouvé allongé, grelottant de froid, les pieds en flammes. Je ne pouvais articuler mes orteils, mes doigts étaient bleuis et j’étais presque inanimés. Je me couvris et je sombrais de nouveau dans le néant.
Le lendemain, au réveil, je décidai de me suicider. L’idée m’accompagna jusqu’au mardi 7 mai à 17 H15, heure à laquelle on était venu me chercher pour rencontrer, pour la troisième fois, le directeur général des services spéciaux. Je préparais les moyens de le faire et je m’organisais en conséquence. Tout était prêt pour le cas où j’avais à subir une autre séance de torture.
Ce soir là, j’ai quitté les locaux de la police à 19 heures, libéré sur ordre direct de Ben Ali comme je fus arrêté. J’ai appris par la suite que le chef tortionnaire avait rendu compte à quatre reprises à Ben Ali, de l’évolution de mon dossier. Il avait aussi rencontré deux fois le ministre de l’intérieur à cet effet.
Pendant toute la durée de ma détention et malgré les relations au plus haut niveau de ma famille et de moi-même, aucun proche n’a pu savoir où j’étais détenu et aucune autorité judiciaire, sollicitée de lui faire connaître mon lieu de détention, n’a réussi à obtenir la moindre information. Un parent, proche du ministre de l’intérieur, a obtenu d’être reçu par ce dernier au bout d’une semaine, mais il n’avait rien pu en tirer, avouant quand même que c’était le président qui gérait mon affaire.
Quatre jours plus tard, j’ai été convoqué à Tunis pour reprendre mon passeport après que je m’étais engagé par écrit à servir Ben Ali. Mais pour plus de sécurité, l’administration décida le même jour
d’interdire à ma femme et à mes cinq enfants de voyager. Le directeur des services spéciaux qui me l’annonça en me remettant mon passeport ( c’était la quatrième fois que je le rencontrais) me fit remarquer qu’ils n’étaient pas en otage, mais qu’il le fallait pour prouver ma bonne foi ! ! !
En quittant la Tunisie, j’étais décidé à me taire tant que famille serait en otage. Au bout d’une semaine, l’annonce de la mort sous la torture de deux personnes, détenues en même temps que moi au ministère de l’intérieur, m’engagea à témoigner de l’enfer que vivent des hommes et des femmes dans la démocratie de Ben Ali. Ma femme et mes enfants m’y encouragèrent au prix de leur liberté.
Paris Juin 1991.
Ahmed Manaï
Candidat indépendant aux élections législatives, du mois d’avril 1989
Circonscription de Monastir.
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