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« L’algérianisation » de la Tunisie


By

 Nicolas Beau

19 janvier 20

La Tunisie qui voici douze ans portait les promesses d’un printemps arabe démocratique est de plus en plus sous l’emprise du pouvoir militaire algérien dont le police politique est omni présente à Tunis et ses recettes pour sortir le pays du chaos de plus en plus en vogue

Sous le règne successivement de l’ex président Bouteflika et de son successeur à la tète du pays, le général et chef d’état major Gaïd Salah, l’Algérie menait une diplomatie aussi sophistiquée que pertinente à l’égard du frère tunisien. Dans ce petit pays qu’Alger a parfois considéré, non sans morgue, comme une de ses wilayas (préfectures), les dirigeants algériens encouragèrent après 2011 la participation minoritaire au pouvoir du mouvement Ennhadha.

Cette bienveillance pour les religieux s’explique par au moins trois raisons: la première est une doctrine politique assez constante qui vit le pouvoir algérien  diviser la mouvance fondamentaliste afin de s’appuyer sur ses éléments les plus modérés. La seconde raison est l’estime dans laquelle Bouteflika comme Gaïd Salah tenaient le leader des islamistes tunisiens, Rached Ghannouchi, dont l’intelligence politique et le charisme sont incontestables. La troisième motivation du pouvoir algérien aura été la volonté de contrer, via ce rapprochement avec Ennhadha, la possible influence en Tunisie et en Libye des Émiratis et des Égyptiens qui vouent, eux, une haine tenace pour tout ce qui ressemble à un Frère Musulman.

Changement de cap 

Cette époque est révolue. Les trois années de mobilisation du Hirak  qui ont ébranlé le pouvoir militaire algérien ainsi que le retour récent au pouvoir en Algérie de puissants cadres de l’ex DRS, les services secrets qui ont appliqué une répression féroce contre les partis religieux durant ce qu’on a appelé les années noires. Autant de raisons de changer du tout au tout leur politique à l’égard de la Tunisie et d’encourager le président Kaïs Saied à tourner le dos aux libertés publiques et à tourner le dos à la démocratie.

Le chef de l’Etat tunisien, qui n’excelle que sur l le terrain institutionnel, a copié sans fierté ni inspiration la propagande la plus éculée des généraux algériens. Bon élève, Kaïs Saïed voue désormais aux gémonies toutes les ONG et autres mouvements humanitaires et voit la main de l’étranger dans la moindre opposition à son régime devenu autoritaire.

Pour complaire à ses amis et voisins, on a même vu le président tunisien recevoir avec tous les honneurs le leader du Polisario avant d’accueillir, cet hiver, une délégation russe de haut niveau en partance pour le Maroc. Cette alliance de la Tunisie et  de l’Algérie, deux pays liés par un accord de Défense, s’est traduite pour le meilleur par une aide économique massive à un État qui n’assure plus ses fins de mois et pour le pire par une présence accrue à Tunis des services secrets algériens.

Ce que perçoit mal ce Président enfermé dans son Palais de Carthage sans véritables interlocuteurs et une cheffe de cabinet comme Première ministre, c’est qu’un nationalisme subtil mais bien vivant anime le peuple tunisien, y compris ses élites qu’elles soient sécuritaires ou politiques. Ce que feu le général Ben Ali avait parfaitement apprécié lorsqu’il s’était rapproché d’abord de l’Irak de Saddam Hussein puis de la Libye de Khadafi, en jouant de la fibre nationaliste arabe qui traverse ce peuple moins occidentalisé qu’il n’en donne l’impression. 

 L’image d’un Kais Saied sous la coupe des Algériens  devrait, les pénuries aidant, isoler encore un peu plus le Président tunisienhttps://mondafrique.com/tunisie-le-peuple-dans-la-rue-et-un-president-totalement-isole/embed/#?secret=LU6hDv4mJk

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Nicolas Beau

Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (Paris 8) et l’auteur de plusieurs livres: « Les beurgeois de la République » (Le Seuil) « La maison Pasqua »(Plon), « BHL, une imposture française » (Les Arènes), « Le vilain petit Qatar » (Fayard avec Jacques Marie Bourget), « La régente de Carthage » (La Découverte, avec Catherine Graciet) et « Notre ami Ben Ali » (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

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