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Nacéra Tolba: Lettre d’amour à Baghdad


 

« La Mésopotamie pleure », du peintre irakien Ali Talib

Lettre d’amour à Baghdad

Certains naissent pour vivre, d’autres naissent pour souffrir

Certains naissent pour sauver des vies, d’autres pour les anéantir

Certains s’extasient comme des fous, d’autres se laissent mourir

Pour échapper à la galère humaine, au temps qui délire sans avenir

Lettre d’amour à Baghdad

Ma Chère,

T’écrire de mon exil ! … Mais que dire ? Que dire, après le souffle qui soupire, le ventre qui se déchire, la raison qui délire et tant de temps à souffrir. Que dire ? Depuis la nuit des temps, tu as lutté pour éclairer et rester le phare de l’Humanité, lutter pour dire non à l’absurde et à l’obscurité, lutter farouchement pour préserver le joyau des civilisations.

 

Ma Chère,

Que dire ! Que dire aux mots lourds et insensés, aux mots-guerres complotées, mots-malades, mots-fiel, la bile noire que je dégueule. Comment te dire des choses, t’entendre, te lire et t’écrire quand le cœur des sciences et des lumières s’embrase et devient le vagin de l’enfer. Quand le chaos et l’horreur rythment ton quotidien. Quand tout est saccagé, pillé et brûlé, l’intimité souillée, violée et le corps éventré crie le fœtus arraché à sa maman. Sur le chemin de l’école, la barbarie fauche l’enfant à la vie. Ici et là, dans les flaques écarlates un cartable démembré, nu et sans dictée, un qalam calciné, gribouillé sur la feuille amputée un palmier vert inachevé ; plus loin, un buvard désemparé, terrifié buvant l’encre coagulé et tente d’abreuver l’enfant inanimé ses doigts tiennent à peine la page du livre déchiqueté qui gémit au gré du souffle terrifié, de sang et de cris mouillé hurle dans la gueule de l’humanité… Mon Dieu ! Quel récit ! Les mots sont tellement difficiles, lourds et incompris. Le verbe n’a pas sa place ici, le silence avait déjà tout dit.

 

Ma Chère,

Complots macabres pris au piège de leurs mensonges. Foutaise ! Tant de résolutions, de lois, de droits détournés et bafoués, honte aux nations désunies. Honte aux Guantanamo improvisés dans les royaumes des scorpions, le monde entier découvre les soldats amers, ricanent et s’exhibent en poses immondes et obscènes, fiers de leurs jeux crapuleux, sadiques et sataniques. Les détenus dénudés, violentés, castrés, torturés et à la fin achevés. L’autre dictateur bombarde, assassine piétine et défigure la mémoire, l’histoire du visage illuminé. Ainsi, on ose civiliser ! On prétend instaurer la démocratie ! On prétend des guerres propres et chirurgicales, enrobées même de poésie ! : Bouclier du désert, Tempête du désert, liberté immuable, Pluie d’été… Mon Dieu quelle hypocrisie !

 

Ma Chère,

Comment t’écrire alors qu’on a brûlé le qalam du poète, on a assassiné sa muse et brisé son vers ; alors que les morts effrayés, quittent rapidement les cimetières profanés ; l’horreur persécute inlassablement leur âme courant dans tes entrailles, courant plus vite encore, hurle et se jette dans l’Euphrate pour éteindre son corps enflammé. Que dire à la sauvagerie. Que dire à la barbarie humaine. Hélas ! On s’est éloigné de la raison, de la sagesse et de la poésie. On a oublié la tendresse, la chaleur et l’odeur de la terre. On n’entend ni les ruisseaux qui fredonnent les saisons, ni le chant des oiseaux, des fleurs et des cœurs et on n’admire plus le soleil qui se couche dans nos regards. On n’entend même plus rien, ni la nuit émerveillée qui déploie ses ailes pour apaiser le poète égaré et ni même le rire des étoiles qui se promènent au seuil de la nuit sur le pavé de l’aurore.

 

Ma Chère,

Je pense à toi. Je te lis. Je te lis dans le giron des vagues messagères. Je te lis dans le sable mouvant d’Arabie. Je te lis sur les ailes du souffle harassé. J’entends. J’entends tes vagissements et tes douleurs qui déchirent l’épaisseur des nuages endeuillés. De mon exil, de la rive bleue qui semble perdre sa splendeur, seule, avec les goélands qui se laissent aller sans envie sur le dos des lents flots croupis, je t’écris. Je t’écris et je pleure le sang des innocents, le sang de mes frères et sœurs qui s’évapore dans l’éther et j’attends inlassablement toute ma vie qu’il se métamorphose en rosée sur la rose au bord du pré, éclose.

Nacéra Tolba

Poète et parolier

Salon du Livre de Vallauris

Les Mille et une Nuits d’aujourd’hui

01,02 et 03 juin 2007

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