Tahar Manaï, celui qui « voulait son Everest »
ESSONNE INFO | Par Clara Cristalli | Publié le mardi 16 juin 2015 à
Planter le premier drapeau tunisien au sommet de l’Everest, c’est le rêve de Tahar Manaï. Très proche du but de son projet « L’Ascension d’une Nation », ce jeune Franco-Tunisien, sapeur-pompier professionnel à Massy, s’est vu stoppé le 25 avril dernier par le séisme qui a frappé de plein fouet le Népal. Mais Tahar ne compte pas s’arrêter sur cet échec. Rentré il y a quelques jours seulement de Tunisie, le jeune homme a accepté de nous rencontrer.
Tahar Manaï, celui qui « voulait son Everest »
ESSONNE INFO | Par Clara Cristalli | Publié le mardi 16 juin 2015
Planter le premier drapeau tunisien au sommet de l’Everest, c’est le rêve de Tahar Manaï. Très proche du but de son projet « L’Ascension d’une Nation », ce jeune Franco-Tunisien, sapeur-pompier professionnel à Massy, s’est vu stoppé le 25 avril dernier par le séisme qui a frappé de plein fouet le Népal. Mais Tahar ne compte pas s’arrêter sur cet échec. Rentré il y a quelques jours seulement de Tunisie, le jeune homme a accepté de nous rencontrer.
En plein cœur de Paris, le récit de Tahar Manaï, pompier en Essonne, nous transporte tout en haut de l’Himalaya. Une vingtaine de jours avant d’atteindre le sommet de l’Everest, Tahar Manaï s’est retrouvé en plein cœur de l’avalanche meurtrière déclenchée par le violent séisme qui a frappé le Népal le 25 avril. Indemne, le jeune homme de 26 ans a néanmoins perdu la somme de 50 000 €, dont une grande partie en matériel et le coût du permis d’ascension au départ du Népal (12 000€) Malgré cette catastrophe, Tahar va vite repartir à l’aventure sur le Mont Elbrouz en Russie.
« Oser rêver mais ne jamais s’arrêter de travailler… »
Cette aventure, c’est celle de toute une vie. Depuis l’âge de 13 ans, Tahar fait de l’escalade, de la randonnée et progresse beaucoup seul. «J’ai trouvé le summum de mon plaisir en haute montagne où il y avait de l’effort et de la difficulté. C’est l’association de la moyenne et de la haute montagne et de l’escalade qui m’ont fait me sentir dans mon élément.» Mais une expédition dans l’Everest nécessite un autre niveau de préparation. Pendant un an et demi, l’alpiniste se contraint à avoir une hygiène de vie très stricte, à suivre une préparation physique intense et à être impliqué chaque instant en multipliant les expéditions en montagne et en sacrifiant sa vie privée. En très haute montagne, chaque sommet a sa problématique et son danger, y compris sanitaire. La préparation ne se limite pas au sport. Malgré sa formation de pompier professionnel, Tahar doit intégrer à son budget une formation de traitement des pathologies de haute montagne où les réactions du corps sont différentes et où les médicaments n’ont pas les mêmes effets.
Le projet de base, c’est celui de « l’Ascension d’une nation ». En 2011 pendant la révolution en Tunisie, dans son pays d’origine, il travaille à Massy, comme pompier. « Je voyais la Tunisie de l’extérieur. Je voyais cette révolution, ce soulèvement populaire se faire, et j’avais le sentiment d’être impuissant et de ne pas pouvoir aider. » Touché, perturbé, une réflexion mûrit en lui. Il se demande de quelle manière il pourrait aider le peuple tunisien. N’ayant pas la prétention de pouvoir changer les choses dans le domaine des secours, Il s’interroge alors sur les possibilités d’impulser quelque chose en alpinisme. Après avoir gravi seul le Mont Blanc quelques temps auparavant, il se décide à emmener son peuple avec lui au sommet. Symbole national fort, il veut devenir le premier à porter son drapeau en haut de l’Everest et ainsi faire de la Tunisie le 92ème pays à l’atteindre. Son idée est en partie inspirée par sa rencontre avec Nadir Dendoune, auteur du livre Un tocard sur le toit du monde. « Les médias parlent peu de la Tunisie, ou pour de mauvaises raisons. C’est un petit pays mais une grande nation. » Orienté vers la jeunesse tunisienne, son message est qu’il n’est pas facile d’oser rêver et qu’il ne faut jamais s’arrêter de travailler. Malgré les embuches…
Et des embuches, il en a essuyé. Le projet séduit tout de suite ceux à qui il en parle. Mais la réalité financière le rattrape. L’Everest coûte cher. Il faut donner du crédit au projet, s’équiper en matériel et faire d’autres sommets un peu partout dans le monde pour convaincre les sponsors. Après le Mont Blanc au mois d’août 2014, il gravit l’Aconcagua en décembre, le plus haut sommet d’Amérique à 6962m, où les conditions climatiques sont similaires à l’Everest. Le premier obstacle auquel Tahar doit faire face se produit un mois avant son départ au Népal. Alors que tout semblait aller bien, ses sponsors décident, sans préavis ni explication, de geler les budgets de l’expédition. Il faut alors trouver plus de 35 000 €. En empruntant, en lançant une campagne de crowdfunding sur Internet et en trouvant de nouveaux partenaires comme Valandre, entreprise de matériel technique de haute montagne implantée en Tunisie, Tahar peut partir à l’aventure.
« Moi, je suis vivant »
Pour une aventure, ç’en fut une. Avec retenue, Tahar nous raconte la journée du 25 avril. « J’étais redescendu la veille du camp 2 où j’avais déposé de la nourriture et du matériel. (*ndlr : En alpinisme, l’ascension ne se fait pas d’une seule traite mais par paliers. Sur l’Everest, quatre camps d’altitude sont établis entre lesquels les alpinistes font des allers retours permanents pour s’acclimater à l’altitude. A chaque camp, les alpinistes déposent un peu de matériel. C’est pour cette raison que l’ascension de l’Everest dure deux mois en moyenne.)
Pour une fois, j’étais dans ma tente, j’écoutais de la musique. D’habitude, j’étais avec Nima – le sherpa qui m’accompagnait et qui est devenu un ami. Mais ce jour-là, j’étais dans la tente. Souvent, quand c’était l’heure du déjeuner, le « kitchen-boy » qui prépare à manger au camp de base, venait secouer ma tente pour me dire que c’était l’heure de manger. Mais là, je vois ma tente qui remue, que c’est l’heure du déjeuner, mais que ça ne s’arrête pas de bouger. Je vois que moi aussi je bouge et là, je me dis que ce n’est pas normal. J’entends des cris, des hurlements. J’étais en chaussettes, en t-shirt ! J’ai ouvert ma tente et j’ai vu un canadien pétrifié, fixer quelque chose et dire « Oh mon dieu ». J’ai sorti la tête et j’ai vu la masse de neige, l’avalanche arriver. Je suis parti en courant, je me suis jeté dans la tente où l’on mangeait et je me suis réfugié sous la table. Là, tout s’est écroulé. La neige est entrée. Ce qui m’a bien protégé c’est que la table était solide et était nappée avec une bâche en plastique. Je suis incapable de dire combien de temps ça a duré : deux secondes, deux minutes, deux heures… Ca m’a paru une éternité. Quand tu es dedans, tu penses « je vais crever, c’est sûr, je vais y rester » La neige rentre et tu te dis « pourvu que le pire soit passé ». L’avalanche ne charriait pas que de la neige. Tout s’est décroché d’un sommet donc il y avait de la glace, des rochers… Quand ça s’est terminé, je suis sorti de sous ma table. J’ai entendu crier dans tous les sens. »
Tahar s’arrête pour préciser qu’il y a habituellement entre 800 et 1000 personnes sur le camp de base et que, cette année, il y avait encore plus de monde. Il continue : « Nima qui m’accompagnait est rapidement venu voir si j’allais bien et on est parti donner un coup de main aux blessés. » Fataliste, Tahar conclut : « Il n’y a pas eu de règle. L’avalanche est passée en plein milieu du camp et a tout ravagé. Certains étaient à 10 mètres de moi et sont morts, moi je suis vivant. » Après l’avalanche, la météo était tellement mauvaise que les alpinistes survivants ont été livrés à eux-mêmes pendant trois jours. Les hélicoptères attendaient de venir les chercher quelques mètres plus bas mais les répliques étaient trop nombreuses. Après avoir passé la première nuit au camp de base, Tahar et son sherpa Nima, ont alors décidé d’atteindre un petit village sécurisé à une heure de marche. Tahar pèse ses mots mais assure : « C’est la plus grosse tragédie de l’histoire de la montagne. Le séisme a frappé au moment où il y avait le plus de monde au camp de base et à l’endroit où on est le plus vulnérable.»
Tout en modestie, Tahar Manai explique apprécier la vision de l’alpinisme du peuple sherpa et dit leur devoir beaucoup. Ce peuple, qui vit dans les hautes vallées himalayennes du Népal, a une vision bien à lui de la montagne, différente de la vision d’autres écoles d’alpinisme, plus intrépides. Les sherpas connaissent mieux que personne le milieu, ils pensent que c’est la montagne qui décide et ne veulent rien forcer. « Pour eux, les montagnes et les sommets sont des dieux. Par exemple, les sherpas ne vont pas jusqu’à la pointe d’une montagne par respect parce que c’est la place des dieux. Ils restent en retrait » commente Tahar Manai en expliquant l’importance des coutumes locales et le plaisir, pour lui, de les partager. « Il ne faut pas arriver en terrain conquis, il faut se plier aux us et coutumes.» Il se rappelle : «Ca me faisait vraiment plaisir que le lama (le prêtre) prie pour que notre ascension se passe bien. » L’émotion est palpable.
La détermination comme credo
L’alpiniste a tout perdu et il doit maintenant retrouver environ 80 000 € pour rembourser ses emprunts et retourner sur l’Everest. Déterminé, il assure « Le plus simple aurait été d’arrêter mais ce n’est pas la politique de la maison. » Ses valeurs : ne pas abandonner. C’est le message qu’il veut faire passer, avant tout à la jeunesse tunisienne. Car il l’assure, son rêve n’est que métaphore pour le rêve de tout jeune. Après une période de relâche nécessaire psychologiquement, c’est décidé, vendredi 19 juin, il part tenter l’ascension du Mt Elbrouz en Russie. Bénéficiant toujours de son acclimatation à la haute altitude, Tahar veut concrétiser quelque chose sur le toit de l’Europe continentale à 5642m. Dans l’immédiat, Tahar doit s’entraîner mais aussi penser à la reprise de son travail de pompier en juillet. Sa hiérarchie est compréhensive. En effet, son patron, le nouveau président du conseil d’administration du SDIS (Service Départemental d’Incendie et de Secours) 91, Dominique Echaroux, se trouvait aussi au Népal au moment du séisme.
« Peu importe l’obstacle, même si c’est un séisme ou une avalanche, j’espère repartir sur l’Everest au plus vite. » Entre le peuple népalais et Tahar, il y a une histoire à boucler. C’est certain, quelque chose de fort, d’intense, s’est créé entre les Sherpas et lui. C’est pour cela que sa prochaine ascension de l’Everest partira, encore une fois, de Katmandou sur la face nord du mont.
Retrouvez Tahar Manai sur sa page Facebook L’Ascension d’une nation et son site internet « Je veux mon Everest »
http://essonneinfo.fr/91-essonne-info/80560/tahar-manai-le-tunisien-qui-voulait-son-everest/