Vaste coup de filet dans l’entourage de M. Erdogan en Turquie
Le Monde.fr | 17.12.2013 à 20h39 • Mis à jour le 18.12.2013 à 09h41 | Par Guillaume Perrier (Istanbul, correspondance)
« Nous ne plierons pas », a martelé le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, depuis la ville de Konya, où il tenait un meeting, mardi. « Aucune force de l’ombre, qu’elle agisse de l’intérieur ou de l’extérieur, ne nous indiquera la ligne à suivre », a-t-il lancé.
Le « système AKP », bâti par le leader turc autour du parti islamo-conservateur qu’il dirige sans partage depuis douze ans, est pourtant en train de vaciller. Un vaste coup de filet anticorruption mené mardi matin à Istanbul et Ankara provoque un séisme sans précédent au sein du pouvoir turc. La justice enquête sur une vaste affaire de malversations, de corruption et de blanchiment d’argent, aux ramifications très politiques.Vaste coup de filet dans l’entourage de M. Erdogan en Turquie
Le Monde.fr | 17.12.2013 à 20h39 • Mis à jour le 18.12.2013 à 09h41 | Par Guillaume Perrier (Istanbul, correspondance)
Parmi les 56 personnes placées en garde à vue figurent le maire (AKP) du quartier central de Fatih à Istanbul, Mustafa Demir, les fils de trois ministres parmi les plus proches du chef du gouvernement, le cousin d’un responsable du bureau national de l’AKP, des bureaucrates de premier plan mais aussi des hommes d’affaires liés au juteux secteur de la construction et de la promotion immobilière…
« PLUS GROS SCANDALE DE L’HISTOIRE TURQUE »
La garde rapprochée de M. Erdogan est sérieusement éclaboussée. « C’est le plus gros scandale de l’histoire de la Turquie. Le premier ministre doit démissionner », a déclaré le député Engin Altay, membre du CHP (Parti républicain du peuple). L’opposition exige par ailleurs la création par l’Assemblée nationale d’une commission d’enquête.
Au centre des investigations menées par la justice, se trouve l’Administration de développement de l’habitat collectif (TOKI), qui a engrangé au cours de la dernière décennie des bénéfices colossaux en revendant à des promoteurs immobiliers triés sur le volet des terrains publics, mais aussi en réalisant ses propres projets de logements collectifs. Cette entreprise parapublique est au cœur de la politique de transformation urbaine initiée par M. Erdogan à Istanbul et tant décriée au printemps au moment des manifestations de la place Taksim.
Le fils du ministre de l’environnement et de l’urbanisme Erdogan Bayraktar, ancien directeur de TOKI, fait partie des personnalités arrêtées. En 2012, M. Bayraktar avait reconnu devant une commission parlementaire qu’environ 25 millions d’euros de commissions occultes avaient été dilapidés au cours de son mandat de dix ans à la tête de TOKI.
Un homme d’affaires azerbaïdjanais, Reza Zarrab, mais aussi le magnat de l’immobilier Ali Agaoglu, devenu en quelques années l’une des dix premières fortunes de Turquie, ont été mis en garde à vue par la police, ainsi que le fils de Muammer Güler, ministre de l’intérieur, et de celui de Zafer Caglayan, ministre de l’économie. Le directeur général de la banque publique Halkbank est lui aussi interrogé. Son établissement, indiquent des sources judiciaires, a servi de plateforme d’échanges avec l’Iran, alors que Téhéran était soumis à des sanctions.
UNE GUERRE AU SOMMET DE L’ETAT
Cette soudaine offensive de la justice est à analyser à l’aune de la guerre qui fait rage au sommet de la Turquie entre les partisans de M. Erdogan et ceux du prédicateur Fethullah Gülen, exilé depuis 1999 aux Etats-Unis et à la tête d’une puissante confrérie influente dans les rouages de l’Etat. L’instruction est menée par le procureur Zekriya Öz, réputé proche des gülénistes, et qui avait dirigé l’enquête dans l’affaire Ergenekon, un réseau militaro-nationaliste démantelé après 2008.
Lire Turquie : Fethullah Gülen, la confrérie de l’ombre
Le mouvement Gülen aurait décidé de lancer ces opérations de représailles après la fermeture des dershane – un réseau de cours privés de soutien scolaire dans lesquels il a massivement investi –, décidée par le gouvernement. Lundi, le député AKP Hakan Sükür a remis sa démission du parti en invoquant cette passe d’armes pour justifier sa décision.
C’est le deuxième parlementaire à quitter son poste en quelques semaines. Une vingtaine d’autres, favorables à M. Gülen, pourraient suivre, estime mardi la presse turque. Le divorce entre l’entourage de M. Erdogan et la confrérie religieuse qui a soutenu l’AKP pendant dix ans mais a condamné sa dérive autocratique et antidémocratique, s’étale désormais chaque jour dans les journaux.
Le quotidien pro-Gülen, Taraf, menace de sortir « documents » et « cassettes » compromettants pour le premier ministre. La bataille est sans doute loin de toucher au but alors que se profilent, en 2014 , des élections municipales et un scrutin présidentiel au suffrage universel. Face à M. Erdogan, qui ambitionne de se présenter, les proches de Fethullah Gülen pèseront de tout leur poids.
• Guillaume Perrier (Istanbul, correspondance)
Journaliste au Monde