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Abdelhakim Belhadj : d’al-Qaida à la démocratie


Abdelhakim Belhadj : d’al-Qaida à la démocratie

Abdelhakim Belhadj : d’al-Qaida à la démocratie

Du djihad aux urnes: le parcours singulier d’Abdelhakim Belhadj, d’Isabelle Mandraud, (chez Stock. Parution prévue le 30 octobre). Il était un compagnon de route de Ben Laden à la fin des années 1990. Livré par la CIA au colonel Kadhafi en 2004, l’émir du Groupe islamique combattant libyen ( GICL) Abdelhakim Belhadj est brusquement réapparu sur le devant de la scène dans son pays en 2011, après la chute de l’ancien régime.

Dans un rôle nouveau: d’abord gouverneur militaire de Tripoli, puis candidat aux premières élections libres,à la tête du parti qu’il a créé, El-Watan. Dans son livre Du djihad aux urnes: le parcours singulier d’Abdelhakim Belhadj, Isabelle Mandraud, journaliste au Monde et spécialiste du Maghreb, a retracé son parcours. Nous en publions des extraits. Comment un djihadiste, compagnon de route de Ben Laden, opposant de Kadhafi, se retrouve-t-il à recevoir le républicain John Mc Cain, puis à se lancer en politique ? Dans un livre, Isabelle Mandraud, notre correspondante au Maghreb, retrace le parcours d’Abdelhakim Belhadj.

Comment un djihadiste, compagnon de route de Ben Laden,opposant de Kadhafi, se retrouve-t-il à recevoir le républicain John McCain, puis à se lancer en politique ? Dans un livre, Isabelle Mandraud, notre correspondante au Maghreb, retrace le parcours d’Abdelhakim Belhadj.

Extraits. Il était un compagnon de route de Ben Laden à la fin des années 1990. Livré par la CIA au colonel Kadhafi en 2004, l’émir du Groupe islamique combattant libyen ( GICL) Abdelhakim Belhadj est brusquement réapparu sur le devant de la scène dans son pays en 2011, après la chute de l’ancien régime. Dans un rôle nouveau: d’abord gouverneur militaire de Tripoli, puis candidat aux premières élections libres,à la tête du parti qu’il a créé, El-Watan. Dans son livre Du djihad aux urnes: le parcours singulier d’Abdelhakim Belhadj, Isabelle Mandraud, journaliste au Monde et spécialiste du Maghreb, a retracé son parcours. Nous en publions des extraits.

Chez Ben Laden à Kandahar Abdelhakim Belhadj se trouvait encore à Istanbul, en 1998, quand le message d’Oussama Ben Laden lui est parvenu. Au même moment, en mars, la Libye a été le premier État à émettre un mandat d’arrêt international contre Oussama Ben Laden, bien avant les États-Unis, alors que nombre de services de renseignement n’avaient pas encore pris la mesure de la menace globale qu’il représente. Ce n’est sans doute pas un hasard. L’émir du GICL accuse réception du message, mais ne se précipite pas. D’emblée, les Libyens considèrent le projet [de djihad global] « incompatible » avec leur objectif. Le divorce entre les tenants du djihad global et les partisans d’un djihad national va bientôt être consommé.

Abdelhakim Belhadj en compagne Rached Ghannouchi

Abdelhakim Belhadj en compagne Rached Ghannouchi

La confrontation a lieu deux ans plus tard, tout début 2000, dans la maison de Ben Laden à Kandahar, la grande ville du sud du Pakistan. Elle durera soixante-douze heures non-stop, à peine interrompue par quelques heures de sommeil et de frugales collations! Depuis le Soudan, Ben Laden a imposé à ses proches un mode de vie ascétique où frigos et climatiseurs sont prohibés. « Cela se voyait même aux vêtements qu’il portait », rapporte Abdelhakim Belhadj. Son QG ressemble alors à un hameau composé de petites maisons afghanes classiques en boue séchée accolées les unes aux autres, dans lesquelles lui et la direction d’Al-Qaida résident.

Ce sera le dernier lieu où ils seront tous regroupés.A côté d’une modeste mosquée, deux pièces de réception accueillent les visiteurs avec de simples matelas disposés au sol. A son arrivée, Abdelhakim Belhadj, accompagné de Khaled Al-Charif,numéro deux du GICL, est accueilli fraîchement par son hôte, qui lui reproche d’avoir tardé à venir. Autour du chef d’Al-Qaida ont pris place l’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, futur numéro deux de l’organisation djihadiste; Abou Khatab Al-Masri (de son vrai nom Midhat Mursi Al-Sayyid Omar), un autre Égyptien responsable d’un programme d’expérimentation chimique dans le camp de Darounta, tué en 2008 par un drone américain; Abou Yasser Al-Masri (Ahmed Rifaï Taha), le chef militaire du groupe islamiste égyptien et co-organisateur, avec Zawahiri, du massacre de Louxor en 1997, que les Libyens ont croisé auparavant à Téhéran; ou bien encore Abou Hafs Al-Mouritani (Mahfouz Ould Walid), le théologien du groupe, qui finira par rentrer dans son pays [la Mauritanie] en avril2010 après dix années passées en Iran en résidence surveillée.

Tous sont membres de la Choura [conseil] d’Al-Qaida. La discussion est courtoise, mais ferme. Chaque partie en présence est impatiente de convaincre l’autre. Oussama Ben Laden presse Abdelhakim Belhadj et ses combattants de se joindre à lui. L’émir du GICL ignore ce qu’a vraiment en tête le chef d’Al-Qaida, mais il prend ses distances avec le « front » que son interlocuteur dit vouloir constituer. «Pourquoi veux-tu combattre les juifs et les chrétiens ?, l’apostrophe-t-il. Tu veux tous les raser de la Terre? Quand le Prophète a fondé Médine [ la deuxième ville sainte de l’islam après La Mecque], il l’a fait avec des juifs et des chrétiens,quand ses compagnons étaient martyrisés à La Mecque, il les a envoyés vers le roi chrétien d’Éthiopie…» «Tu fais des vidéos pour inciter au hijra [l’émigration d’un musulman d’une terre de mécréance vers un pays musulman], poursuit le Libyen, mais que fais-tu de tous ceux qui ont tout quitté, tout vendu, pour venir ici ? Notre projet,nous,est de renverser des tyrans comme Kadhafi.» Méprisant, Oussama Ben Laden réplique: « Au lieu de frapper la tête du serpent, vous frappez la queue. Kadhafi, Moubarak…

Tous ces régimes ne sont que des marionnettes soutenues par les Occidentaux et leurs alliés.» «Vois, poursuit-il en se tournant vers Ayman Al-Zawahiri. Il a perdu contre Moubarak et, maintenant, il nous a rejoints. Le jour où tu te heurteras à un mur, toi aussi, tu nous rejoindras.» Le chef d’Al-Qaida digresse ensuite de longues minutes sur l’islam et les «croisés». Jamais il ne se départit de son calme,ce qui ajoute souvent, aux yeux de ses interlocuteurs, à son « charisme ». (…) «Ton objectif n’a rien de religieux, le reprend Abdelhakim Belhadj, qui refuse de se laisser démonter.

Abdelhakim Belhadj en compagne Hamad Jebali

Abdelhakim Belhadj en compagne Hamad Jebali

Si tu dis: “ je suis contre les juifs parce qu’ils tuent les Palestiniens, et les États-Unis parce qu’ils soutiennent l’État hébreu”, c’est un discours politique et ça se tient. Mais si tu constitues ton front au nom de l’islam, c’est faux. Cela n’a rien à voir. Il ne faut pas user de slogans religieux pour mener une guerre politique.» Devant le patient entêtement d’Oussama Ben Laden, à bout d’arguments, le chef du GICL invoque un obstacle. Aucun Afghan ne participe à la réunion, or, observe-t-il, un tel projet ne peut que les mettre dans l’embarras, alors que le pays est déchiré dans une guerre civile. « Tu vas faire du mal à ceux qui t’ont accueilli, tu vas les entraîner dans une guerre dans laquelle ils n’ont rien à voir. Tu as conclu une beyaha [un serment] avec le mollah Omar qui t’a demandé de ne pas faire de sortie médiatique et là, c’est pire, tu prépares une déclaration de guerre  ! Que fais-tu de ce pays ? » Ayman Al-Zawahiri n’a pas prononcé un seul mot durant toute la rencontre, mais sortant de sa réserve, Hafs Al-Mouritani, lui, approuve cette dernière remarque: « Non seulement il nous l’a demandé, mais il nous l’a signifié par écrit…»

Plus tard, le Mauritanien se désolidarisera totalement du projet du 11septembre 2001. Les heures passent. Les participants ne parviennent pas à se mettre d’accord. Oussama Ben Laden a repris le dessus, il a le dernier mot auprès des siens, pas auprès des trois Libyens qui repartent en campant sur leurs positions. Entre les combattants libyens, partisans d’un djihad national limité dans le temps et dans l’espace, et Ben Laden, promoteur d’un djihad global contre les régimes apostats et les «infidèles », les relations paraissent sauves, mais le divorce est bel et bien consommé. « Même s’il était en désaccord avec nous, Ben Laden essayait de ne pas nous perdre », souligne Abdelhakim Belhadj. [Ce sera la dernière entrevue avec Ben Laden.

Le sénateur John McCain, un fervent défenseur d'Israël

Le sénateur John McCain, un fervent défenseur d’Israël

Traqué comme tous les djihadistes alors installés dans les zones tribales du Pakistan, Abdelhakim Belhadj sera finalement capturé en 2004 en Malaisie et livré avec sa femme par la CIA à Kadhafi. Condamné à mort, torturé, il sera libéré en 2010. Un an plus tard, il rejoint la rébellion au sein de laquelle il jouera un rôle de premier plan, jusqu’à devenir gouverneur militaire de Tripoli lors de la chute de la capitale, en août 2011.]  Avec John Mc Cain [A l’automne 2011] Abdelhakim Belhadj reçoit lui-même, dans ses locaux mitoyens de l’Hôtel Radisson Blu – l’ancien bureau de Seif Al-Islam Kadhafi dans lequel il s’est installé –, l’Américain John McCain.

Le sénateur républicain de l’Arizona, venu se rendre compte sur place de la situation en Libye après la libération de la capitale, a demandé à le voir. L’entrevue est cordiale, dans une certaine limite. Après avoir écouté son interlocuteur, le gouverneur de Tripoli met les pieds dans le plat: « Les États-Unis m’ont fait subir une très grande injustice, dit-il. –Je suis désolé pour vous, et je m’excuse pour votre femme », répond John McCain. Abdelhakim Belhadj fera répéter deux fois au traducteur ces propos. Il a bien entendu: l’Américain a bien présenté ses excuses pour sa femme. Pour lui, il est seulement « désolé ». (…) En parallèle de ses relations avec les Occidentaux, Abdelhakim Belhadj doit surtout s’employer à rassurer ses compatriotes. Après tout, il a été désigné comme l’ennemi public numéro un de l’ancien régime, et son arrivée au poste de gouverneur militaire de Tripoli en inquiète plus d’un. Paniqués, des anciens officiers ont tout quitté et sont passés dans la clandestinité.

Dans l’espoir d’apaiser une bonne fois pour toutes ces craintes, il frappe un grand coup en conviant à dîner sept d’entre eux qui l’ont des années durant malmené. Un soir, apeurés et tremblants, ces derniers sont conduits dans l’annexe de l’Hôtel Radisson Blu. Alors que le premier d’entre eux commence à bredouiller des excuses, le chef rebelle l’interrompt: « Arrête, c’est de l’histoire ancienne, leur dit-il. Ce que veulent maintenant les Libyens, c’est la stabilité. S’il doit y avoir quelque chose de tranché entre nous, c’est à la justice de le faire, sinon ce sera la jungle.» Abdelhakim Belhadj sait parfaitement ce qu’il fait. Il sait que ce dîner va se répandre dans toute la ville. [A l’approche des premières élections organisées après la chute de l’ancien régime, qui auront lieu le 7 juillet 2012, Abdelhakim Belhadj décide de quitter son poste de gouverneur militaire pour se lancer dans la course à la tête du parti qu’il a créé, El-Watan.]

A Tripoli, en campagne électorale Dans ce contexte tendu, la nouvelle Libye avance en effet à  petits pas. Des élections, les premières librement organisées depuis quarante-deux ans, sont annoncées pour le mois de juin. Pour Abdelhakim Belhadj, qui entend bien jouer un rôle dans son pays libéré du joug de la dictature, la phase militaire s’achève.«Les révolutionnaires doivent intégrer les institutions et je participe à cet effort », plaide-t-il. En mars, les Frères musulmans, associés à d’autres formations islamistes, ont déjà annoncé la création du Parti de la justice et de la reconstruction.

« Un parti national civil avec un cadre de référence islamiste », précise le président du comité chargé de la coordination du mouvement, Lamine Belhadj, l’ancien enseignant qui avait tenté d’intercéder lors des délicates négociations [autour de la gestion du conflit] entre le CNT [Conseil national de transition] de Tripoli et son homonyme, Abdelhakim Belhadj, à Rojban. Encouragés par le succès de leurs pairs en Tunisie et en Egypte, les Frères musulmans croient dur comme fer à leurs chances. Leur mouvement repose sur le concept adopté lors de la réunion des différentes familles islamistes à Istanbul quelques mois plus tôt mais, comme prévu, les anciens du GICL n’y sont pas les bienvenus.

Résigné, Abdelhakim Belhadj se lance dans la course avec un temps de retard. En mai, il démissionne de son poste de commandement au Conseil militaire et, troquant son treillis militaire pour un costume occidental, se lance à la tête de son propre parti, El-Watan (« la nation»). Le nom est une référence directe à la réunion avortée d’Istanbul. (…) « Rentrer en politique n’est pas en contradiction avec la charia, même si certains ne sont pas d’accord avec cela, assure Abdelhakim Belhadj. On s’engage pour construire l’Etat.» Dans l’esprit de l’ancien djihadiste, El-Watan n’est donc pas un parti religieux. «On parle de l’islam comme une partie intégrante de l’identité du pays.

L’islam est un système de gouvernance qui garantit les droits humains, qui respecte les autres religions, les voisins, la sécurité des gens, la stabilité; il ne se réduit pas à un certain nombre de punitions ou de châtiments, qui existent déjà dans le code civil », affirme-t-il. Pour appuyer ses dires, il présente une femme, non voilée, sur sa liste à Benghazi. « Beaucoup disent que les femmes n’ont pas de droits dans l’islam, alors qu’il s’est répandu à une époque où on les enterrait vivantes. L’islam leur a rendu leur dignité, argumente Abdelhakim Belhadj. La femme du Prophète [l’une de ses épouses], Oum Salama, notre mère à tous, avait un rôle politique, elle le conseillait. Quand il est parti faire le pèlerinage à La Mecque, la tribu locale s’y est opposée et le Prophète s’est dit “on reviendra l’année prochaine”. Il était humilié, ses compagnons étaient furieux. Oum Salama lui a dit:  “ Ne t’en fais pas, sors,égorge un mouton et tes hommes te suivront.” Il l’a écoutée.» (…) La campagne a été rapide.

Pour El-Watan, elle a surtout été franchement bâclée. Quelques meetings de-ci de-là, quelques affiches, une organisation des plus confuses, une équipe de campagne peu homogène… L’ancien djihadiste, ex-chef militaire de la rébellion, n’a pas achevé sa mue en homme politique. Lié par le projet avorté d’Istanbul, qui consistait à réunir les islamistes dans une seule et même formation, Abdelhakim Belhadj s’est retrouvé seul dans ce parti avec quelques Frères musulmans bien peu motivés. Ses anciens compagnons du GICL se sont dispersés. Le 7 juillet, les Libyens votent en masse malgré les appels au boycottage lancés en Cyrénaïque [région libyenne], qui s’estimait lésée par la répartition des sièges dans la future Assemblée. Pour ces premières élections libres organisées après quarante- deux ans de dictature, 1,6 million d’électeurs sur les 2,8 millions d’inscrits, soit près de 60%, ont participé, parfois les larmes aux yeux, au scrutin qui doit élire 200 membres du Congrès national chargé de rédiger la future Constitution libyenne. Les libéraux l’emportent. A la tête de l’Alliance des forces nationales (AFN), une coalition d’une soixantaine de formations, Mahmoud Jebril sort largement victorieux devant les Frères musulmans.

Ce vote, bien que Mahmoud Jebril refuse de se voir attribuer l’étiquette de laïc, marque pour la première fois l’arrêt de l’arrivée au pouvoir des islamistes dans un pays du «printemps arabe ». El-Watan obtient un seul siège. Abdelhakim Belhadj n’est pas élu. Pis : il est devancé par GICLun Frère musulman…

Extraits du livre d’Isabelle Mandraud, Mardi 29 octobre 2013

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