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Tunisie, il y a 25 ans: le candidat des Droits de L’homme


 

Il y a 25 ans, le 21 août 1993, l’infatigable Feu Ali Saidi* me décrocha un rendez-vous, pour le 24 août,  avec le rédacteur en chef du Progrès de Lyon, Jean- Pierre Gris- Malzy, pour l’entretenir de la situation en Tunisie et de la répression qui y sévissait depuis la fin de 1990. J’avais convenu avec Ali, dès notre première rencontre, la dernière semaine de mai 1991, au café du Cluny, sur le boulevard Saint Michel, de commencer notre travail d’information par les journaux régionaux, relativement plus accessibles que les journaux  parisiens.

C’est ainsi qu’il me fît interviewer par la correspondante de RFI à Evreux, où il résidait depuis de nombreuses années et y comptait de solides amitiés, le jour de la visite du Président Mitterrand à Tunis, le 9 juillet 1991. J’avais parlé de la situation en Tunisie et commenté la lettre que j’ai adressée ce jour là à l’illustre hôte de la Tunisie. Quelques jours plus tard, deux longs interviews, le premier,  intitulé « Répression : un opposant tunisien témoigne au journal L’Ouest Parisien ( Édition de Paris- Normandie, jeudi 18 Juillet 1991) et le second, « Un opposant tunisien à Evreux – De la torture à l’exil à La Dépêche  d’Evreux – Samedi 20 Juillet 1991. Une demi-page sur le premier et une page entière sur le second. Une grande victoire sur le silence complice observé jusqu’à ce jour, par les médias français sur les événements de Tunisie.

A table, dans un restaurant en face du siège du journal, je discourais alors que mes deux compagnons, Ali Saïdi et Jean- Pierre Gris- Malzy, rédacteur en chef du Progrès de Lyon, déjeunaient tranquillement. A un certain moment j’ai remarqué que le journaliste ne semblait  pas très emballé par mon récit et je craignais que notre rencontre ne donne pas lieu à plus d’une brève dans les pages intérieures du journal. C’est alors que j’eus cette idée : Vous savez Monsieur Gris-Malzy que je me présente à l’élection présidentielle l’année prochaine. Ah ça change tout monsieur Manai ! ça change tout! Il fit appeler un photographe et me fit l’interview ci-dessous.

L’interview provoqua une alerte générale au consulat général de Tunisie à Lyon dont le titulaire, le colonel Ammar El Kheriji, rassembla les représentants de la communauté tunisienne dans la région pour les rappeler à leurs devoirs… De retour à Paris,le lendemain, certains Tunisiens me félicitèrent pour cet acte de bravoure, qui était au fait juste une provocation… Un Nahdhaoui, Ameur Larayedh, me téléphona pour me demander un rendez-vous. Quand nous nous rencontrâmes, dans un restaurant « Quick » du boulevard St Michel, il me posa juste cette question : pourquoi cette annonce de candidature ? Je lui répondis que c’était mon droit et mon devoir et puis c’est mieux que d’organiser un coup d’Etat. Il perdit la parole et s’en alla.

Au mois de mars 1994, Moncef Merzouki était venu à Paris juste après l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle. Nous avions organisé une rencontre avec une vingtaine de militants tunisiens et français, dont l’infatigable militante des Verts, Ginette Skandrani, et, sur proposition du président de Tunisie : Démocratie Maintenant, Younes Othman, j’ai annoncé mon désistement en faveur de Merzouki. Lui au moins était sur place. J’ai continué à le présenter comme candidat de l’opposition jusqu’en 2002. Il n’eut jamais l’honnêteté ou simplement la délicatesse de le mentionner dans ses nombreux écrits sur sa course à la Présidence. Sans doute préfère-t-il passer pour le premier et le seul Tunisien à avoir défié Ben Ali.

Interview:

LE CANDIDAT DES DROITS DE L’HOMME, 25 Août 1993

« Parce que le peuple tunisien mérite mieux que le régime actuel », Ahmed Manaï, ancien supporter du président Ben Ali, passé à l’opposition, se présentera à l’élection présidentielle de 1994. Ancien expert auprès des Nations Unies, ancien membre du Parti Destourien, Ahmed Manaï a organisé le 7 novembre 1987, la première manifestation de soutien au président Ben Ali, à Monastir*, le fief même d’Habib Bourguiba. Deux ans plus tard, déçu par la politique du nouveau président, il participe aux élections législatives sur une liste indépendante et entre en dissidence. Arrêté en avril 91 et détenu pendant 14 jours, il réside désormais en France où il participe à la rédaction de « Horizon 94 », « la voix de la Tunisie libre ».

Quelle vision avez-vous de la situation économique et de la situation politique aujourd’hui en Tunisie ?

Pour faire une comparaison avec nos proches voisins, on peut dire que la Tunisie est en meilleure position que l’Algérie qui possède pourtant plus d’atouts, avec ses ressources pétrolières et ses énormes possibilités de développement agricole. La situation de la Tunisie est également plus satisfaisante que celle de la Libye pourtant plus riche en hydro- carbures. Notre bonne situation tient, à mon sens, au fait que depuis longtemps, la Tunisie a toujours eu une économie très diversifiée et qu’elle peut s’appuyer sur son agriculture, non seulement préservée mais développée.

Le paysan algérien est devenu un ouvrier agricole, le paysan tunisien est toujours un paysan. Voilà un satisfecit qu’il faut donner aux tunisiens, qu’ils soient au pouvoir ou non. Sur le plan politique, je voudrais rappeler que de 1987 à 1989, j’ai soutenu l’action du président Ben Ali, espérant qu’il mettrait en pratique ses promesses de 87 et j’ai rapidement été déçu. C’est pourquoi, aux législatives de 1989, je me suis présenté à la tête d’une liste indépendante et non pas sous la bannière du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti du président), comme on me le proposait, car j’avais constaté que ce parti avait repris les plus mauvaises méthodes du PSD, en particulier l’absence de toute démocratie à l’intérieur du parti et des institutions.

L’absence de démocratie dans le parti a-t-elle de l’incidence sur la démocratie dans le pays ?

Le parti étant hégémonique, la démocratie dans le pays dépend essentiellement de la démocratie dans le parti. Cette situation existe depuis l’indépendance et je constate que le parti a envahi l’Etat qui est devenu l’Etat du parti . Notez que ce n’est qu’en 1981 que l’Etat a autorisé l’existence d’autres partis

Simulacre

Il semblerait que le président Ben Ali, au cours du récent congrès du RCD, ait annoncé qu’il ouvrirait les élections législatives de 94 aux partis d’opposition. C’est un simulacre de démocratie. On sait que les partis d’opposition ne représentent que 2% des suffrages alors que, dans le même temps, on les assure qu’ils auront des élus au parlement. Quelle est la valeur d’élections dont les résultats sont connus d’avance ? Les futurs élus des partis d’opposition vont servir de décor et n’existeront que par la volonté du prince. Parmi les partis d’opposition autorisés à présenter des candidats, aucun ne pourra se prévaloir de l’islamisme. Il y a un seul parti qui se réclame de l’islamisme et qui le pratique à haute dose, c’est le RCD. Ainsi, il envoie des imams en France pour encadrer la communauté et je le considère comme un parti intégriste.

Comment expliquez-vous que le parti au pouvoir se présente comme le champion de la lutte contre l’intégrisme ?

Nous sortons là du cadre strictement tunisien. Le pouvoir en Tunisie se présente aux yeux de l’étranger comme le rempart contre l’intégrisme. C’est de bonne presse ! Mais à l’intérieur, il ne peut se présenter autrement qu’en parti intégriste radical. Personnellement, je lutte pour une société démocratique où chacun aurait le droit de croire à qui il veut, de pratiquer ou non la religion de son choix. Une société libre et démocratique. Je ne dis pas laïque, car chez nous, ce terme est plutôt synonyme d’athéisme. Je souhaite une société séculière où les affaires de l’Etat seraient gérées en dehors des considérations religieuses. Pour ma part, je suis musulman pratiquant mais ce n’est pas pour cette raison que je me présenterai devant les électeurs comme le porteur du message musulman.

Le prétexte de l’Intégrisme

Où en est, d’après-vous, le respect des droits de l’homme en Tunisie ?

Le problème se posait déjà du temps de Bourguiba : peu de liberté d’expression, d’association…, mais il y avait peu de cas de torture. Je n’ai entendu parler de systématisation de la torture que depuis 1988. Vingt quatre associations humanitaires à travers le monde, ont dénoncé la torture en Tunisie. Des milliers de militants politiques ont été arrêtés, un jour, dix jours ou un mois et torturés. Ceci est inacceptable. La constitution est bafouée et la Tunisie est méconnaissable. Ce qui signifie que même la lutte contre l’intégrisme ne saurait justifier la moindre atteinte aux Droits de l’homme.

Il n’y a rien, même pas l’état de guerre qui puisse justifier la violation des Droits de l’homme. Cela dit, je considère que la lutte contre l’intégrisme constitue le fonds de commerce de Ben Ali depuis trois ou quatre ans. Vis à vis de l’opinion publique en Tunisie, mais aussi vis à vis de l’opinion publique internationale. Je ne crois pas au danger de l’intégrisme. Si nous réunissons le milliard de musulmans du monde, tous ces gens ne constituent pas une menace pour l’occident. Si l’on reste dans les limites de la Tunisie, je ne crois pas que tous les islamistes réunis, qui forment une entité plus large que le mouvement Ennahdha, soient en mesure de menacer l’équilibre politique tunisien. Même dans des conditions électorales optimales, ils ne pourraient pas obtenir plus de 10 à 15% des voix. J’en déduis que l’acharnement du pouvoir contre les islamistes ne s’explique qu’à travers la recherche d’une légitimité que ne lui ont pas donnée les élections de 1989, truquées de fond en comble. Il fallait mettre les islamistes à genoux- ce qui était déjà fait depuis 1991- et ce qui a conduit à poursuivre la répression contre les gauchistes, les communistes et les démocrates.

Vous serez candidat, l’an prochain, aux élections présidentielles. Sur quel programme ?

Je me suis décidé à être candidat quelque soit le coût de ma démarche, car c’est pratiquement commettre un crime de lèse- majesté que de se présenter contre M. Ben Ali. Mais il faut briser un tabou psychologique et faire comprendre aux Tunisiens que quiconque remplit les conditions d’éligibilité peut être candidat. Je me présenterai pour une réforme approfondie de la constitution et à l’instauration des fondements d’une société démocratique. Il faut faire voter l’abolition des lois antidémocratiques, dont celle qui instaure la création du « citoyen- espion », qu’on veut nous faire prendre pour un médiateur… et restaurer l’unité nationale.

Propos recueillis par Jean- Pierre Gris- Malzy, LE PROGRES (Lyon)

* Ali Saidi, militant associatif, cofondateur avec Monder SFAR et Ahmed MANAI du Comité tunisien d’Appel à la Démission du président Ben Ali en janvier 1993. Il fut assassiné à Gafsa au mois de décembre 2001, dans des conditions demeurées jusqu’ici obscures! Rahmatoullah Alih!

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