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Tunisie : la démocratie à l’épreuve d’assassinats d’opposants


Tous les observateurs se rejoignent sur un point:plus que l’homme, c’est le processus de transition démocratique qui était visé, jeudi 25 juillet,quand Mohamed Brahmi, député de l’opposition de gauche, est tombé sous les balles de tueurs inconnus, devant son domicile de l’Ariana, dans la banlieue nord de Tunis. Cette exécution, menée de façon « très professionnelle » selon les témoins – une dizaine de balles tirées à bout portant par deux hommes à moto, à la mi-journée –, a eu lieu le jour même du 56e anniversaire de la proclamation de la République tunisienne.

Une heure plus tôt, le chef de l’État, Moncef Marzouki, le président de l’Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaafar, et le chef du gouvernement, Ali Larayedh, s’étaient félicités, en des termes presque identiques, de l’avancée de la nouvelle Constitution devant les députés réunis. « Nous nous réjouissions de voir que nous étions enfin dans la dernière ligne droite. A chaque fois qu’on fait un pas en avant, un événement survient pour bloquer l’avancée enregistrée », relève avec amertume Mustapha Ben Jaafar. Le coup est dur pour la Tunisie.

C’est la deuxième fois en moins de six mois qu’un opposant politique est assassiné. Le 6 février, Chokri Belaïd, l’une des figures de l’opposition laïque, avait été assassiné de la même façon, devant son domicile. Si Mohamed Brahmi n’était pas une personnalité de premier plan, cet homme de 58 ans, généreux et courtois en dehors de ses diatribes parfois cinglantes, faisait le lien entre plusieurs univers.

En cela, les assassins ont bien choisi leur cible. Nationaliste arabe s’inscrivant dans la mouvance de gauche radicale du Front populaire, député de Sidi Bouzid (le berceau de la révolution qui a renversé Zine El-Abidine Ben Ali en janvier 2011) et proche de la centrale syndicale UGTT, Mohamed Brahmi ne ménageait pas ses critiques à l’égard des islamistes. Dès l’annonce de son exécution, la famille Brahmi a pointé la responsabilité d’Ennahda, le parti au pouvoir. « J’accuse Ennahda », a déclaré la sœur du défunt, en pleurs.

A Tunis, des manifestants ont défilé aux cris de « La Tunisie est libre, dégagez les Frères ! », allusion aux liens entre Ennahda et les Frères musulmans en Égypte. A Sidi Bouzid, pendant ce temps, le siège du gouvernorat était envahi et des bureaux étaient incendiés. Non loin de là, des locaux d’Ennadha étaient mis à sac, aux cris de « A bas les obscurantistes, Ennahda et salafistes ! ».

C’est précisément ce genre d’accusations, de nature à enflammer le pays, que tentent d’éviter les autorités. Dans une allocution télévisée, le président Moncef Marzouki a parlé, jeudi soir, de « seconde catastrophe nationale » après le meurtre de Chokri Belaïd et appelé au calme. De son côté, le chef du gouvernement a souligné que cet assassinat « ne devait pas être exploité et inciter les Tunisiens à s’entre-tuer ». Pour sa part, le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi, a rejeté les accusations de la famille Brahmi et affirmé que les commanditaires voulaient mener la Tunisie « vers une guerre civile ».

Les uns et les autres redoutent que ce nouvel assassinat fasse voler en éclats le fragile consensus qui prévaut en Tunisie. « La tension est forte depuis la mort de Chokri Belaïd, et la suspicion généralisée. La société tunisienne est de plus en plus divisée entre deux pôles: les islamistes d’Ennahda et les démocrates laïcs, attachés aux valeurs de la Tunisie moderne. Cette ligne de démarcation partage des pans entiers de la société, comme un schisme. Chacun est sommé de choisir son camp, en perdant tout sens de la nuance », s’inquiète l’universitaire et politologue Larbi Chouikha.

Pour lui, tout ce qui se passe en Égypte est « minutieusement décrypté » par Ennahda et le camp des laïcs. Les premiers redoutent un scénario où la rue, plutôt que l’armée, les chasserait du pouvoir. Les seconds se sentent « galvanisés » par les événements d’Égypte. Reste que, pour le président de l’Assemblée constituante, Mustapha Ben Jafaar, et la plupart des observateurs, « le bon sens le plus élémentaire » ne permet pas d’incriminer Ennahda pour les assassinats de Mohamed Brahmi et de Chokri Belaïd. Au contraire.

Aucun des partis au pouvoir,souligne-t-il, ne gagnerait à de semblables agissements qui, parce qu’ils les discréditent, en font « des victimes ». D’ici peu, l’identité des assassins ou de leurs commanditaires devrait être révélée, a assuré au Monde M. Marzouki, jeudi après midi, sans vouloir en dire plus. Un groupe djihadiste tunisien, Ansar Al-Charia, paraît concentrer tous les soupçons.

Par Florence Beaugé, article du journal Le Monde du 27/07/2013

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