
La justice remet en liberté des cadres de l’ancien régime Ben Ali
Annoncée, puis démentie, la nouvelle a d’abord été confuse, comme s’il fallait qu’elle reste discrète. Abdallah Kallel, ex-ministre tunisien de l’intérieur, et Mohamed Garhiani, secrétaire général jusqu’en 2011 du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti au pouvoir aujourd’hui dissous, ont quitté peu avant minuit, mercredi 10 juillet, la prison de la Mornaguia, près de Tunis. Deux ans et demi après le soulèvement tunisien qui a donné le coup d’envoi au « printemps arabe », ce sont les premières libérations de cadres symboliques de l’ancien régime. Un troisième homme, Boubaker Lakhzouri, ex-ministre des affaires religieuses accusé de trafic de billets dans le cadre des pèlerinages à la Mecque, a également fait partie du petit groupe remis en liberté.
Tous ont quitté les cellules des « politiques » qui se sont peu à peu remplies après la chute, puis la fuite en Arabie saoudite, de l’ancien dictateur. Cette « première » intervient au moment précis où l’Assemblée nationale constituante tunisienne a commencé l’examen du projet de loi « d’immunisation de la révolution », destinée à exclure de la vie politique tous ceux qui ont exercé des responsabilités sous la présidence de Zine El-Abidine Ben Ali, de 1987 à 2011. Arrêté le 10 mars 2011, et incarcéré deux jours après, Abdallah Kallel, 71 ans, successivement ministre de la défense, de l’intérieur et de la justice entre 1989 et 2001, était poursuivi dans ce cas précis comme ancien trésorier du RCD, pour « détournement d’argent public ».
Puis, après la remise d’un rapport d’expertise, l’accusation a été requalifiée en « complicité à porter préjudice à l’administration au motif que des dons de sociétés d’Etat au parti RCD ne l’auraient pas été de plein gré ». Sous Ben Ali, les entreprises nationales, entre autres, étaient en effet ponctionnées pour financer l’ex-parti au pouvoir. Mais ce délit n’existant pas dans le droit tunisien, la chambre d’accusation a décidé de renvoyer l’affaire en instruction et de remettre en liberté trois responsables de l’ancien régime. Figurait ainsi dans la liste, aux côtés d’Abdallah Kallel et de Mohamed Garhiani, Abdelaziz Ben Dhia, proche conseiller et porte-parole de l’ancien président. Condamné dans le cadre d’une autre affaire, ce dernier n’est pas sorti de prison.
« Coup d’Etat islamiste »
Libéré avec interdiction de quitter le territoire et d’«apparaître en public », Abdallah Kallel n’en a pas fini non plus avec la justice tunisienne. Ses deux années de détention correspondent à la peine prononcée à son encontre « pour violence directe» (torture) dans une autre affaire dite « Barraket Essahel », qui concerne des militaires. Ces dernier sont découvert en 2011 que leur brutale radiation de l’armée en 1991, était due à leur présence sur des listes de personnes suspectées de préparer un « coup d’Etat islamiste ». Quatre autres plaintes ont été déposées contre l’ancien ministre, pour torture ou malversations financières.
L’une d’elles provient d’un homme, Rached Jaidane, qui a déclaré avoir été soumis à de mauvais traitements physiques de 1991 à 2003. La défense de Kallel fait valoir que le dossier est « vide » de preuves et que, sur toute la période, aucun autre ministre n’a été inquiété. Depuis deux ans, la justice transitionnelle tunisienne reste ainsi un immense chantier. Les victimes de l’ancien régime ou celles, plus récentes, de la révolution, attendent toujours un jugement en leur faveur. Quant aux accusés, leurs droits sont, eux aussi, le plus souvent bafoués.