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Hollande visite une Tunisie en pleine « transition »


François Hollande

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Les petits drapeaux français sont apparus sur les artères principales de Tunis, mais les Tunisiens ont le regard tourné ailleurs: vers l’Égypte, où les tensions entre le pouvoir islamiste de Mohamed Morsi et la rue mobilisent l’attention d’une opinion inquiète ; et vers l’Assemblée nationale constituante tunisienne, où les premiers débats sur la future Constitution se sont ouverts dans la confusion, lundi 1er juillet, entre la majorité dominée par le parti islamiste Ennahda, issu lui aussi des Frères musulmans, et les partis d’opposition.

C’est dans ce contexte que François Hollande doit effectuer une visite d’État en Tunisie les 4 et 5 juillet, troisième du genre dans le Maghreb depuis son élection à la présidence, après l’Algérie en décembre 2012 et le Maroc en avril. Le chef de l’État conclut ainsi une tournée dans une région avec laquelle la France entretient des liens étroits économiques, culturels et humains. Quelque 700000 Tunisiens vivent sur le territoire hexagonal, ce qui en fait l’une des plus importantes communautés, après les Algériens et les Marocains. Mais c’est presque à rebours que M.Hollande achève son périple en terminant par la Tunisie, seul pays du Maghreb dans lequel il s’était pourtant rendu pendant sa campagne présidentielle en mai 2011.

Les discussions sur la nouvelle Constitution, objet de vives tensions, se sont ouvertes le 1er juillet

« C’est la moindre des choses que d’être là », déclarait-il alors, après avoir déploré l’attitude du gouvernement français au moment de la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali. Deux ans plus tard, François Hollande semble bien moins à l’aise avec le berceau du « printemps arabe » « porteur de risques », comme il l’avait souligné à Rabat en avril, qu’avec ses voisins du Maghreb salués… pour leur « stabilité ». Loin de rompre avec ses prédécesseurs, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, il s’était contenté d’ébaucher une critique du colonialisme en Algérie et avait vanté la « sérénité » du Maroc.

« En Algérie et au Maroc, le président a salué la stabilité; en Tunisie, il saluera le mouvement, rétorque sans ciller un conseiller de l’Élysée. Il ne faut pas voir de hiérarchie, c’est une visite dans un pays qui vit sa transition avec ses succès et ses difficultés.» M.Hollande, poursuit ce même conseiller, « portera un message d’encouragement, ce sera là son principal message, une transition, après une période autoritaire, est toujours difficile ». Un message qu’il délivrera vendredi 5 juillet au Bardo, devant l’Assemblée constituante, après s’être entretenu avec les « trois présidents » comme on désigne en Tunisie le chef de l’État, Moncef Marzouki, le chef du gouvernement, Ali Larayedh, et au perchoir de l’Assemblée, son président, Moustapha Ben Jaafar, représentant les trois partis alliés au pouvoir.

Signe d’une certaine prudence, le chef de l’État français ne visitera que la capitale. Aucune rencontre avec le chef du parti Ennahda, Rached Ghannouchi, n’est par ailleurs inscrite à l’agenda, bien que les représentants des « principaux partis » soient conviés à la résidence de France, ainsi que des personnalités de la société civile. Parmi ces dernières, devrait notamment figurer Besma Khalfaoui, la veuve de l’opposant de gauche Chokri Belaïd assassiné à Tunis en février. Surtout, le ministre français de l’intérieur, Manuel Valls, auteur en février de propos mal perçus en Tunisie sur un « fascisme islamique qui monte un peu partout », ne sera pas du voyage.

La délégation française comprendra plusieurs ministres, dont Laurent Fabius, une quarantaine de chefs d’entreprise, ainsi que des personnalités d’origine tunisienne comme Souhayr Belhassen, ex-présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), le cinéaste Abdellatif Kechiche, dont le film La Vie d’Adèle a remporté cette année la Palme d’or à Cannes, ou le boulanger Ridha Khader, natif de Kairouan, devenu le fournisseur de l’Élysée. En guise de geste de bonne volonté, François Hollande a prévu d’apporter dans ses bagages la nouvelle carte de conseils aux voyageurs du Quai d’Orsay, « le deuxième site Internet le plus visité après celui des impôts », assure le conseiller de la présidence, qui place désormais toutes les côtes tunisiennes en zone « à faible risque ».

Auteur de propos sur un « fascisme islamique qui monte un peu partout », Manuel Valls ne sera pas du voyage

« Un coup de pouce », dit-on à l’Élysée, pour un tourisme tunisien qui souffre. Et puis, le président français emportera aussi avec lui les archives concernant l’ancien syndicaliste Farhat Hached, dont l’assassinat, en 1952, a toujours été attribué au groupuscule de la Main rouge, une émanation du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, le Sdece. Il n’y aurait, dans ce dossier, aucune preuve tangible de l’implication des services français dans le meurtre du nationaliste tunisien, mais des fiches tout de même assez précises de renseignement sur ses allers et venues deux jours avant sa mort qui relanceront sans nul doute les accusations.

Plus encore que le passé, c’est avec le présent que le président français devra composer. Dans une lettre ouverte rendue publique lundi, la FIDH et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH) interpellent le chef de l’État en l’exhortant à « aborder sans ambages les dossiers les plus sensibles en matière des droits de l’homme ». La visite de M.Hollande débute en effet le jour du procès de la jeune militante Femen tunisienne Amina Sboui, qui encourt jusqu’à six ans de prison pour « association de malfaiteurs » en relation avec les trois Femen étrangères condamnées à quatre mois de prison avec sursis et remises en liberté; au lendemain de l’audience en appel pour le rappeur Weld El 15 condamné à deux ans de prison pour une chanson insultant la police; et au beau milieu des débats sensibles sur la future Constitution.

Isabelle Mandraud (Le Monde du 3 Juillet 2013 N˚21291)

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